18.12.15

LABYRINTHE DES JOURS 1975




1975

17.2. Rentrés hier d’une semaine de vacances en Alsace.

Mars.
Tout commence à l’équinoxe du printemps. 21, 22 mars.
On fait le bébé.
Le docteur G prévient que ça marchera ce soir ou demain. « Votre glaire est magnifique ! »
Fin de trimestre. Fatigue. Peu d’entrain. Cependant nous nous mettons à l’œuvre…

Vacances de Pâques.
Messe de Pâques à Pul avec L  et les TRM.

Des cigognes volent haut dans le ciel... Mère appelle L à la fenêtre de la cuisine.


CHRONIQUE DE LA VIE ANTÉRIEURE

J’écris ici l’histoire de ta vie antérieure. Tout commence à l’équinoxe de printemps de l’an 1975.
C’est le 21 ou 22 mars que tu es conçu. A Paris ou à Pulversheim en Alsace. Il restera toujours un doute sur le lieu et la date exacts de ta conception.
21, 22 mars 1975.
C’est là que tout commence. C’est la fin d’un trimestre de travail et le début des congés de Pâques. Nous sommes fatigués, mais d’après le médecin gynécologique que consulte Lili les conditions sont cette fois favorables à ta « fabrication » aussi te « fabriquons » nous. Avec application malgré notre harassement et sans trop y croire.

Les congés de Pâques se passent. Nous revenons à Paris et c’est là au début avril vers le huit
que peu à peu nous nous rendons compte de la chose incroyable, attendue depuis deux ans,
un bébé pousse dans la ventre de Lili. Sans te faire remarquer, tu as tranquillement commencé à exister.

Voilà l’histoire de tes premiers débuts.

Université Jussieu. Examen de psychophysiologie.

Paris, 26.4.75.
Chers tous,
Merci pour le petit caniche venu me souhaiter bon anniversaire !
Mon 39° printemps ! Bigre ! et toujours pas marié…
C’est justement pour cela que je vous écris.
Nous avons décidé, Pupuce et moi, pour des raisons administratives (mutation de Madame l’institutrice spécialisée) de liquider la chose avant notre départ en vacances. Cela se fera donc ici à Paris, dans les prochaines semaines. Nous sommes en train de constituer le dossier : pourriez-vous pour se faire m’envoyer un extrait d’acte de naissance ?
Tout cela n’est qu’une formalité administrative et nous fêterons dignement l’événement cet été en Alsace, toute la famille réunie.
A part cela, le train-train normal entre le travail et les études. Tout le monde se porte printanièrement. Le Père G poursuit l’aménagement du sous-sol. Les filles G attendent que ça se passe… Moi, je me laisse dorloter, estimant qu’à l’âge vénérable où je suis parvenu, il est temps de me caser ! Non ! j’ai plutôt le sentiment que tout ne fait que commencer…
Malgré le peu de nouvelles reçues de votre part, je vous imagine tous en bonne forme et le moral florissant comme la saison. Pierre.

Nous étions fort inquiets 3 semaines sans nouvelles. J’espère que personne n’est malade ! Peut-être les Brestois sont-ils arrivés ? Dans ce cas présentez-leur notre bonjour.
A Paris presque rien de nouveau si ce n’est le soleil et donc l’espoir de jours merveilleux.
Merci au Père pour la feuille de mouvement, je vois qu’il y a le choix et j’espère que la prochaine demande sera la bonne…
Je vous embrasse très fort. Vivement les vacances car on va avoir tellement de choses à se dire.  Lili.


Lettre de Mère. Pulversheim, le 2 .5. 1975.

Mes chers enfants,
Que cette journée commence par une pensée pour vous. Je voudrais tout d’abord m’excuser pour mon attitude de dimanche dernier. Mais dès que j’ai entendu la voix de Pierre, j’étais complètement seule. Je sentais monter en moi une telle solitude que je ne pouvais plus me dominer. J’espère que vous ne m’en voudrez pas. Depuis votre départ, j’étais de toute façon un peu désemparée ; naturellement tout me semblait tellement gris qu’il faut le beau soleil de mai pour dissiper les nuages. Donc, ne vous faites aucun souci à mon sujet et encore une fois, je vous prie de m’excuser. Tout va bien ici et je remonte la pente. Surtout que Pierre ne vienne pas ; car pour peu de temps cela le fatiguerait inutilement et le départ serait encore cruel. Je préfère vous voir arriver fin juin et pour longtemps.
Aussi je voudrais vous donner des nouvelles de toute la famille.
Les M sont dans la jardin.
Les W font chez eux de la peinture extérieure (bois), ils se portent bien.
Les K juniors sont « heureux » et Igor devient un vrai garçon turbulent. Il demande à aller en classe l’après-midi. Il devient le vrai  « Wagges »(voyou). A la demande où il apprend tout cela ? il répond tout fier «  à l’école ». Belle
mentalité. Mais c’est un amour de gosse. Le Père a toujours sa folie des médecins et en ce moment il a eu une complète documentation des « ioniseurs » reçue de Mme Droo de Guebwiller. Ce sont des appareils venant de Budapest. Voilà, mes chers enfants, les nouvelles en gros de la famille K.
Les H vont bien et oncle M attend « ses dents ». Tante C je pense va bien. Je ne l’ai pas revue depuis Pâques. Jeannette et Louis arriveront le 23 mai (pour d bon).
J’ai oublié de vous dire que les K juniors préparent leur première tranche de vacances et partiront le 17 ou 18 de ce mois.
Ici le temps est beau et les arbres sont comme des touffes de fleurs blanches. Le pommier est superbe. C’est dommage Pierre et Lily de ne pas voir ces fleurs roses et blanches. Cela me rappelle mes chapeaux quand j’étais enfant. Papa travaille dans le jardin et je me demande comment il arrive à faire des travaux pénibles pour lui, mais comme il ne se laisse pas raisonner, je le laisse faire.
Il me semble que j’ai assez parlé de nous et tournons la page et venons un peu à Paris.   
Je prierai Lily de bien vouloir m’excuser auprès de Monsieur G. Je n’ai pas encore remercié le papa de Lily pour son extrême gentillesse. Mais je le ferai aujourd’hui par même courrier. J’ai entendu vaguement un mot au téléphone et comme il ne fallait pas « souffler mot », je pense que nous aurons la grande joie de recevoir Monsieur G pour la Pentecôte. De toute façon je m’y attendais, donc, inutile de m’avertir. Je me fais un grand plaisir pour le recevoir et cela fera un dérivatif pour le père.
Mes chers enfants, vous vous êtes décidés d’unir votre destinée par écrit. Je crois que c’est sage et comme il y a longtemps, que je vous ai donné ma bénédiction, je ne puis que vous dire « continuez à être heureux ensemble pour très très longtemps ».
Liliane fut dès sa venue chez nous ma petite fille, et pour le père également malgré qu’il n’est pas tellement facile à se faire accepter par lui. Pour le restant de la famille, elle est depuis le premier instant leur sœur.
Papa ira cet après-midi à Mulhouse et cherchera l’extrait et de suite mettra ce courrier à la poste à Mulhouse. Vous aurez encore quelques semaines de dur labeur, mais dans huit semaines vous serez là.



MAI 75. Pentecôte. Père G s’en va en Alsace où cuisiné par la famille il ne peut garder le grand secret.

Fête des mères. Premier cadeau à la future maman : LA NAISSANCE D’UN ENFANT.

Papiers du mariage. Préparatifs.

L ne fume plus ! miracle ! et interdit à tout son entourage l’usage maudit du tabac !
Tout le monde est à ses petits soins et elle en profite amplement. Le père G surtout se montre plein de sollicitude pour sa chère fille enceinte…

L se porte comme un charme. Tout le monde la trouve épanouie.

Recherche stérile  des prénoms.

Nous ne cessons de parler du bébé qui devient le centre de nos préoccupations.
Nous commençons à nous rendre compte que son arrivée représente pour nous un véritable miracle que nous n’attendions plus. L’événement tant espéré enfin se réalise et nous ne parvenons pas à y croire.

Réactions à la Fac, cours de Cleirens, etc. Réactions des camarades, des collègues.

6 Juin. Mariage à la Mairie du XII°.

Ces écrits sont dédiés à toi
qui viens
encore sans visage
et à celle qui te porte

À toutes les naissances
à toutes les promesses de vie
aux enfants du siècle futur
aux ancêtres
à ceux qui dorment dans la terre d’Afrique
dans la terre des Antilles
dans la terre d’Alsace
aux anges
aux milliers de mondes qui palpitent en-deçà
au-delà  du monde visible

Non je ne serai pas un père
Tu ne seras pas mon enfant non
Tu es le vivant
Et je veux être pour toi
celui qui respecte
celui qui protège
l’éclore imprévisible de la vie.

Moi qui ne sais rien de la vie
Je ne pourrai te donner
Que ma pauvreté
Ma vieille soif de vérité


9.7. Je ne peux me stabiliser dans aucune discipline traditionnelle. Je travaille à une nouvelle pensée unitaire, qui ne peut se confondre avec aucune des grandes instances culturelles du passé.


19.7. Rêve. Ce drôle de Christ crucifié. Il porte un chapeau et peu à peu se transforme en Don Juan tout de noir vêtu.


2.8. Promenade vers la clairière brûlée avec L et Igor.

Il faut penser comme un enfant de cinq ans, posant les questions les plus naïves.



13.8. Hier à Mulhouse avec les B. Centre médico-psychologique.
Puis promenade à travers la ville avec Jorgen.
Soirée à Oberentzen.

H .P. de Rouffach avec Louis B.
Soirée : visite des Joseph K.
Films Schila.


Montreuil, 28.8.75.
Chers tous,
Voilà l’Alsace est quittée, Paris est retrouvé…
L’arrachement aux douceurs alsaciennes ( guat assa, guat suffa, guat schlofa, guat schnufa, guat spàziara geh, guat hisala, guat gardala, guat àlles :bon manger, bon boire, bon dormir, bon respirer, bon promener, bonne maisonnée, bon jardin, bon tout…) a été bien entendu, comme toujours, un peu douloureux…
Bonne route, circulation raisonnable jusqu’à Paris. Une atmosphère un peu lourde, orageuse ; un drôle de ciel brumeux tout à l’image de nos pensées (fini le bel été, devant nous l’inconnu de la rentrée…).
Nous sommes arrivés à Montreuil à 7 heures piles. Accueil fou-fou de Klein, le chien de la maison. Une demi-heure après notre arrivée, Jeannine vient nous souhaiter la bienvenue et passer la soirée avec nous. Elle nous a préparé un gâteau, du boudin… Et voilà, la fiesta continue… On bavarde, on bavarde, on rit, on boit, on mange, on fait  manger le chien, tout heureux de ne plus être seul… et puis on se décide quand même d’aller se coucher.
Ce matin très tôt, Jeannine part à son boulot. Pupuce et moi, on se lève aux environs de 8 heures. Et hop, au travail : on débarrasse la voiture, on range nos affaires, on achète les journaux et puis commence l’opération SE LOGER. On téléphone ici et là : un rendez-vous ferme pour demain matin. On sort dans Montreuil voir une agence et faire nos achats. On mange. Et à l’instant on s’apprête à foncer sur Paris et à prendre d’assaut ses organismes de locations…
Voilà, j’arrête mon bavardage et cède la parole à Grettala.




SEPTEMBRE (Sans date)

Bollwiller. Cueillette de mûres.

Visite des cousines. Les 6 gros ventres de la famille.

Dimanche, 7.
Départ pour Paris. 9 heures de route.

Journées à Montreuil.

Rentrée.


21.9.
Moi le naissant
S’il vous plaît
Laissez-moi naître
Ne me rangez pas dans votre  ordre
Laissez-moi vivre
Je suis la vie innommée

Fontaine où encore une fois
Nous boirons l’enfance
Regard étonné déchiffrant la fleur l’oiseau
Par toi encore une fois nous apprendrons à voir
Main frêle à nouveau tu nous apprendras la quête de tendresse

Fontaine seront tes regards de l’éternelle enfance
De la peur éternelle et de l’éternelle


Aujourd’hui s’achève le sixième mois de l’attente, six mois que tu pousses dans l’obscur antre de viscères, six mois que tu tisses à foison nos pauvres désirs terrestres.

Toi le naissant ton mystère nous interroge toujours plus à mesure que s’approche le jour de ta venue. Déjà nous voudrions savoir impatients humains ton visage, ta vie.
Rien ne nous trouble tant que l’insaisissable naître.

six mois déjà
trois mois encore
voici le fruit s’approche de sa maturité
ventre bombé comme une colline
ventre qui bouge
ventre qui trouble le sommeil
ventre énigmatique
un ou deux ou trois
tu t’imagines s’il y en avait deux
et quel sexe
quel visage
quelle couleur
noir blanc
blanc noir
ventre lourd comme une outre pleine
ventre stupéfiant
ventre univers
ventre cosmogonie
ventre biogénèse
ventre où remue à nouveau
obscur indéchiffrable
l’ETERNEL AVENIR


Je célèbre celle qui te porte
Je célèbre les mères les ventres
Je célèbre tout ce qui enfante
Tout ce qui porte le futur
Je célèbre les hanches larges des femmes
Les flancs féconds
La glaise où dort la gloire des champs d’été
Je célèbre les sillons la fente entre les cuisses
La vulve où pénètre la semence
Je célèbre l’utérus, la chair qui enfante  génitrice


29 sept. Congé de maladie de L.

L a du mal à se déplacer. Insomnies. L se lève au milieu de la nuit et se met à tricoter.

Inscription à l’hôpital Rothschild.

Visites médicales.


CHRONIQUE D’OCTOBRE

8 octobre.
Nous faisons une longue promenade  à  pieds dans le quartier rue de Charenton. Vitrines. Prisunic : rayon bébé. Cimetière de Bercy.
Papier adhésif sur étagère.

L : il ne sera ni coiffeur ni boucher mais il aura le droit de lire.

GW : il naîtra avec un bouquin dans les mains.


17. Achat pour le bébé au BHV, puis au prisunic avenue Daumesnil.

L passe de l’état de fatigue extrême à l’état de calme heureux.
PLUS QUE 60 jours environ. On commence à réaliser.

20.  Fin du congé de L.

22. Après 2 jours de travail, congé définitif.
Visite à l’hôpital Rothschild. Rentrée déprimée.

24. Promenade au bois de Vincennes.

25. Montreuil . Histoires de femmes enceintes. Fernande, celle qui maigrit de 20 kg durant sa grossesse.

Tu viens  et c’est comme si nous t’avions toujours attendu.

28. L seule Boulevard de Reuilly s’ennuie.

30. Montreuil. Travaux : papier adhésif pour l’étagère, préparation du berceau. Grande fatigue et grande nervosité de L. Fatiguée, s’assied sur les marches du métro. 


31. Visite à l’hôpital Rothschild. Lettre à la sage- femme en chef pour demander d’assister à l’accouchement.

Je rejoins L sur le chemin de l’hôpital. Elle vient de sortir souriante, a entendu battre le cœur du bébé.

-un mauvais siège
-le poids baisse
-la tension reste élevée (médicaments : aldactone forte à 50 mg)
-le bébé est placé trop haut
-le docteur demande si la date de conception est exacte
-L toujours en sursis : risque de rentrer à l’hôpital

Lettres de mères.
Problèmes avec l’allocation familiale.

le silence est ma demeure
et les calmes mouvances
loin de vos fureurs
loin de vos stridences
étranges bêtes perdues
dans le vertige du monde

31 .10. Premières vacances passées à Paris depuis longtemps. Mais vraiment c’était impossible de transbahuter la famille cette fois-ci : le Père Ubu, la Mère Ubu et Ubupuce ( qui sera sans doute boxeur à voir comment il utilise le ventre de sa mère comme punching- ball) ont préféré s’occuper de leurs petites affaires et se promener tranquillement dans le bois de Vincennes au beau soleil d’automne.

CHRONIQUE DE NOVEMBRE

Pour fêter ta naissance
je convie les mots les plus beaux
je convie les ailes des papillons
je convie la transparence des cristaux
le bleu tendre des horizons
je convie la gloire des soleils
les secrètes merveilles
des étangs et des bois
je convie le chant de joie
le chant de mélancolie des terrestres saisons
je convie la splendeur des floraisons
le silence des neiges

Longtemps j’ai demeuré dans de profonds silences
ô ventre de la mère
ô mer des profondeurs
le silence est ma demeure
et les calmes mouvances
loin de vos fureurs
loin de vos stridences
étranges bêtes perdues
dans le vertige du monde

Longtemps j’ai demeuré dans une paix profonde
palpitante de sang et de songe
longtemps j’ai dérivé dans de douces ténèbres

Croissances secrètes. L’éclore n’aime pas le jour trop cruel. Le naître secret s’accomplit dans l’ombre.

je nage je remue je suce mon pouce je dors je rêve j’écoute je vis déjà je vis
longues herbes liquides pulsations palpitations circulations

accélérations précipitations là-haut la grosse machine du cœur s’essouffle cogne comme un forcené contre un mur

l’été s’avance
lentement mûrit le fruit
longues journées chaudes
tu fais la sieste sur un lit de camp au fond du verger
je dors dans le flanc de la grosse Bête
vivante montagne qui déambule s’assied se lève se couche mange boit dort

l’instant natal asphyxie  cri
le monde comme une gifle
tunnel passage nuit obscure
avancer dans la nuit
mourir naître

PEUR PANIQUE DE NAITRE

astres liquides
voies lactées
voies de sang
voix musique
rumeurs
j’entends la vie derrière les murailles d’eau

j’entends la mer

j’avance dans le fleuve de sperme des étoiles dans la voie lactée

j’ai peur il faut MOURIR  il faut NAITRE


Au début de la nuit elle s’endort sans trop de mal. Mais elle se réveille vers une heure du matin et ne parvient plus à retrouver le sommeil. Nuits d’inquiétudes. Plaintes. Chantonnements. Dans sa tête des plans s’échafaudent, des visions passent terrifiantes, réjouissantes.
Lui dort.
J’ai envie de te réveiller. Je te prends la main mais tu ne bouges pas. Tu es si loin. Tu me laisse seule. Dans sa tête ça pense ça calcule ça planifie.
Plaintes, gémissements. J’en ai marre. Je suis fatiguée des nuits d’insomnie. Et ce ventre qui enfle qui enfle. Nous lisons toute la littérature concernant la grossesse, la naissance.


Sortir de l’obscur
de la dense nuit
danse
inouïe graine éclate
dans l’orage de lumière
éclate orage
rage d’avancer
je nage dans le profond fleuve
de sève qui irrigue
les contrées du soleil
je suis verdure aveugle
et qui pousse
Être de neige
Être d’aube
Construction printanière
Fragilité
Complexité
Être de naissance
Etre de nativité
Fraîcheur
Rosée
Éveil
Être d’éveil

Être- merveille je te salue au seuil du monde visible tu viens et c’est comme si toujours nous t’avions attendu

Voici déjà l’automne saison des fruits
Saison des brumes au verger de tendresse
Tu as mûri tu as déplié ton être mystérieux
Tissé de force et de délicatesse

Voici bientôt tu quitteras ton antre délicieux

L’automne avance temps des maturités
Vastes matins de brume sur les terres fécondes
Collines lourdes de vignes plaines labourées

Voici humble vivant tu viens au monde
Tu entres dans la gloire de vivre tu nais
À l’étrange aventure de la mortalité

L’automne avance saison des complétudes
Tu viens vivant fragile et la longue inquiétude
Désormais restera compagne de nos jours
Ombre fidèle de l’attentif amour


Longtemps j’ai séjourné dans la demeure d’ombre
Et voici
Il te faut naître
Naître ou n’être pas
Naître ou n’être qu’ombre
Au royaume des langueurs
Fauve est le naître non  fade non rose non bleu  

obscure gestation
d’organes
d’yeux
de  membres
fête de chair jubilation souffrance

sommeils de miel peuplés de murmures traversés d’ailes légères danses d’eau de feuilles sommeils fluides fusant d’étoiles
sommeils de glaise gloussements d’aube dans la bleutée fraîcheur des jardins
fragiles envols
des êtres de neige nagent dans la nuit de velours

et puis le silence
la plénitude du silence
silence de chair silence de tendre ciel matinal
silence baigné de bleu

Je me pelotonne dans les buissons d’artères de veines de nerfs
dans l’œuf chaud du ventre je me blottis
dans la nuit bruissante d’eau de sang de sève
et de caresses de baisers je me réfugie je me nourris
de tiédeur de tendresse 
je bois le breuvage ardent
de l’eau de feu qui fait s’épanouir les fragiles vivants
les fleurs frêles les étoiles  passagères

Le ciel de la terre l’oxygène
descend dans mes membres mon torse éclaire ma tête
Je vois des oiseaux voler sur des surfaces d’eau lisse
et longtemps s’illuminer le ciel


This, Leboyer (Pour une naissance sans violence).
Bain de Lili, je l’aide.

L’enfant qui vient est déjà secrètement présent dans chaque geste de notre vie, l’infléchissant sans que nous nous en rendions compte. Leitmotiv muet accompagnant sans cesse la musique de nos jours.

algues mouvantes souples
lumière d’aube
diaprures heures ocellées
temps de nacre
non-temps non-espace
Éden premier
lueurs douces cataractes oranges et bleutées
brume jaunâtre ouate imbibée d’azur

tendres profondeurs je vis lové dans le velours
je voyage  à travers des verdures mouvantes des brumes des fumées de tendres éclairs des météores des astres qui dansent

je vis lové dans le velours de la nuit
j’ai des milliers d’yeux des milliers de mains


Paris grisailles de novembre
Hôpital Rothschild dans le douzième
Cour feuilles mortes chambre aux murs bleutés

Tu entends la rumeur de la mer
le murmure sourd du sang
le bruit de soie  des caresses
prodiguées par nos mains
à la mouvante colline du ventre
Tu nais et c’est grande fête
chez les bêtes
qui dansent au soleil levant
Et c’est profonde allégresse
chez les humains
qui se taisent et te contemplent
Et c’est miracle pour les astres
Tu nais et c’est jour  faste
pour tous les vivants
Tu nais et maintenant
naître sera ta tâche
jusqu’à l’ultime que nous avons appelé
MOURIR 

Hôpital Rothschild. Vieil hôpital de briques. L'automne tapisse les cours de feuilles. Toute la tristesse de Paris semble s'accumuler dans le quartier étrangement calme.
Hôpital ou usine. Cheminées.

À l'entrée de la maternité, veille un dragon en tablier blanc: où allez-vous, Monsieur?
Admission. Dortoir. L'aspect douteux des hôpitaux parisiens. Chambres à quatre lits. Quatre noires, une blanche. Deux postes de télévision. Les infirmières surchargées de travail. Parfois apparaît la petite horde des médecins. La sage-femme matrone. Le rose des sages-femmes. La sage-femme "humaine".

tu nais au jour trompeur
tes yeux souriront et s’abuseront
et patiemment il te faudra renaître
au lointain savoir de ténèbre


forêt de fables où tu entres le monde
texte diffus confus touffu
des songes humains
tissu de songes de mensonges
tramé en tout lieu
avec nos obscurs désirs
forêt des temps des lieux
forêt des visages
où tu pénètres


Cet enfant vivra sa vie d’adulte au XXI° siècle .


L. grossit démesurément, prend une quinzaine de kilos.
Difficultés de digestion.
Parfois le bébé « monte ».
L. étouffe.
Elle geint, elle se traîne, se déplace avec lenteur.
Le ventre devient énorme.
Ne pas la toucher à l’aine gauche.
Les mouvements du bébé ; gonflements de la peau se déplaçant.
Plaintes, gémissements.


Naître, mystère toujours recommencé.
Ça aussi vous l’avez aplati, banalisé.
Sucrerie naissance rose bonbon.


chanter le miracle
voir l’inouï
le naître fulguration
le naître oracle révélation

Ne ramenez pas tout à votre ordre bourgeois. Sachons voir le prodige de la naissance, de l’amour, de la mort, du vivre.


POLITIQUE
Tout ce qui entoure le naître est, comme le reste de la vie, plongé dans la politique. Dès le seuil, la vie est politisée, socialisée, soumise aux luttes « religieuses » des hommes.
Maternité : hégémonie du médecin-chef, de sa conception de la naissance. Exercice du pouvoir sur le personnel du service, les femmes, leurs maris, les enfants.

La naissance moderne, aseptisée, technicisée.
Règne de l’accoucheur.
Il faudrait faire une histoire de la naissance.
Montrer les sages-femmes d’autrefois.
La sage-femme sorcière.


18.11. Meudon.
Paris V : Séminaire Roche.
Fnac-Montparnasse : OTTO(le sacré).

J’écris pour apprendre.

Ceux qui savent ne savent pas.
Je ne me lasserai pas de Te chercher.

10.12.
de loin je me regarde
être éphémère
figure fugace du Vivant
et je crois être moi



12 DECEMBRE. Herbert Pierre Knibiehly naît à l'Hôpital Rothschild dans le XII° arrondissement de Paris. La naissance s'est faite par césarienne et semble s'être bien déroulée. Herbert a jeté immédiatement des cris bien sonores. C'est un peu avant treize heures qu'on le présente rapidement à son père dans le couloir de la maternité. C'est un petit bout d'être fragile, mais bien vivant.

- Téléphone au Père G, à Pul, à Meudon.
- Quand je reviens à l'hôpital, le Père G y est déjà.
- L semi-consciente.
- Regarde le bébé tout l'après-midi.
- Mensurations: 3kg400, 53 cm.
- Mains violettes.
- H crie en venant au monde, fait pipi.
- Yeux ouverts, jeu avec les mains.
- Porte le bébé.
- Accoutrement gris.
- Rapide repas à midi.
- Retourne à la maternité avec l'appareil photo et magnétophone.
- Porte une rose à L.
- L après: je te vois.
- Souffrances tout l'après-midi.
- Piqûre, puis sommeil.
- Jeannine.
- H très calme. N'arrive pas à l'enregistrer.
- Cherchons les ressemblances.
- M'endors fourbu.




14 DECEMBRE
- Bifteck de cheval pour L.
- Avec J à la maternité.
- Noémie, son mari.
- Cadeau: chauffe-biberon;
- Lettres aux mères
- Téléphone à Pul.

15 DECEMBRE
- Zizi noir.
- 9/10 aux tests.
- J lui donne le biberon.
- L moins en forme, souffre quand elle donne le sein.
- Annonce la naissance à la Directrice de l'Institution St Joseph.
- Cartes d'annonce de la naissance: Bour, Hemeter, Brisard, Popo.
- H sensible aux bruits.

16 DECEMBRE
- Fête à Meudon.
- Au séminaire de Roche, on me demande des nouvelles du bébé.
-Achat de champagne à Inno-Montparnasse pour arroser la naissance de H.
- Tout le monde pose des questions sur H et sa maman à Meudon.
- Félicitations du curé de Bellevue (Meudon).
- Arrive à l'hôpital à 19h15.
- L bonne forme, fin de la tétée.
- H dans les bras de sa mère.
- Nouvelles cartes, Soeur Catherine.
- Semble goulu.
- Petite tête ronde.
- Se griffe.
- Air de béatitude.
- Rêve.
- Mimiques très changeantes.

17 DECEMBRE
- Crie plus.
- A beaucoup faim.
- Apporte le premier film H qui risque d'être loupé.
- A l'hôpital de 17 à 20 h.
- H a le hoquet
- Pleurs abondants avant le biberon.
- Encore des photos.


18 DECEMBRE
- Journal de l'école Notre-Dame du Sacré- Coeur: annonce de la naissance de H.
- Test de Guthrie.
- BCG.
- Visite de Madame Lefèvre, une casse-pied.

19 DECEMBRE
- Lettres aux mères.
- Dame du métro demande des nouvelles.
- Les sourires.
- Allaitement mixte.

20 DECEMBRE
Déjà s'accumule la paperasse concernant ce mignon petit Herbert. A peine né et tout de suite dévoré par la Grande Machine Administrative.

21. 12.  Sortie de l’hôpital.
- Instruction de la puéricultrice.
- Pharmacie : lait Nursic,  médicament  (trémulations).
- Coups de téléphone : J Katz, Richard, Chila.


22.12. Les opérations «  installation d’Herbert en son château de Montreuil » se déroulent sans problème. C’est à heure régulière la séance « propreté/miam-miam », de jour comme de nuit.
Et puis le mignon petit pépère dort comme un bienheureux. Mais ça mobilise quand même pas mal de temps, de matériel et de personnes. ..

Nous appréhendions un peu la première nuit et nos quatre oreilles étaient en alerte. Le bébé a poussé une gueulante à 1h30, il avait faim, mais après nous avons été tranquilles jusqu’à 7h moins le quart. Il a eu sa toilette à 8h30 et un autre casse-croûte à 9h30


23 décembre.
Soir, constatons le malaise de bébé.
- Diarrhée
- Trémulations
- Consultons  Spock (livre)
-Téléphone à Noémie

24 décembre
Nuit difficile
Appelons un pédiatre
Diarrhée trémulations
Père Grette garde le bébé durant notre saut à Paris
Les premières photos
Vers le soir amélioration
1 h du matin vais Bd de Reuilly chercher les carottes
Pour Cadeaux :Sneepy /valise
Prends la température de bébé

Pour ton premier Noël
Nous t’offrons
La tendresse de nos cœurs
La chaleur de nos mains
La sécurité de nos bras
La vigilance de nos regards
Notre affection soucieuse

Pour ton premier Noël
Nous t’offrons
Les étoiles du ciel
La lumière du jour
L’obscurité de la nuit


26 Décembre
Nette amélioration
Petits boutons sur les jambes
Jus de carotte + lait
Arrivée  de Madeleine et Gilbert
Cadeaux pour Herbert : canard, nounours, 3 louis d’or, assiette, gobelet, affaires de toilette, valise
Soins à L sur la cicatrice

27 décembre
Début du babil ?

28 Décembre 1975
Première semaine à Montreuil.
Journée de sommeil.
Sourit avec tout son visage.


29 Décembre 1975
Départ de Madeleine  et Gilbert
Longue séance de nuit
Très calme pour la toilette
Musique enregistrée, effet calmant ?
Midi rend son biberon
Chantier ouvert à côté de la maison
Confond-il le jour et la nuit ?
Envoi de photos aux Mères
Coup de Téléphone d’Annie
Les réactions à Pulversheim
Renseignements sur le pèse-bébé


30. 12.
Longue séance de nuit
Problème avec les tétines



L.   Te dire combien je t’ai attendu… Pour moi de ta venue dépendait mon équilibre mental.

En réfléchissant je devais admettre que toutes les activités que j’entreprenais n’étaient qu’une façon de combler un vide… ton  absence.
Nous n’y croyions plus et étions prêts à y renoncer quand enfin tu t’es annoncé. Te dire ma joie mais aussi mon angoisse. Joie de t’attendre, angoisse de peut-être te perdre…Tout cela me paraissait trop beau. Attendre un enfant est un miracle. Etre le refuge de ce miracle me semblait impossible, je me sentais indigne et j’avais peur d’une joie éphémère.
Les jours passant la sérénité est enfin apparue. Enfin j’ai pu parler de « mon bébé ». Mais j’avais besoin de le voir vivre et pour cela j’ai eu recours  à deux stratagèmes : tout d’abord je racontais des histoires sur ta vie future mais j’avais encore plus besoin d’entendre Pierre me parler de toi. Des dizaines de fois il a repris les thèmes du bain, des biberons, des tétées, du changement de couche. Chaque fois qu’il refusait de me parler de toi  car il ne trouvait plus rien à dire j’avais comme l’impression qu’il te tuait un peu et je pleurais.
           
Les dernières semaines ont été très dures à cause de cette tension qui ne voulait pas descendre. Je craignais continuellement pour ta vie. Chaque visite chez le toubib était pour moi source de désespoir.

 8 Novembre 1975 (vendredi à 14h) je suis rentrée à l’hôpital pour surveiller ma tension. Un repos complet la fait tomber.

7 Décembre 1975  (lundi 18h30) : nouvelle rentrée à l’hôpital pour (on le saura plus tard) les oreillons. Là encore le problème de tension se pose. Comme auparavant, la tension baisse dès que je suis à l’hôpital. La peur que j’ai qu’il t’arrive quelque chose augmente ma  tension quand je suis à la maison, le fait d’être à l’hôpital me rassure car les soins  peuvent être immédiats .

Le 9, les médecins prennent la décision de pratiquer une césarienne (à cause d’une possibilité de toxémie) mais n’osent me l’annoncer. La communication de cette décision me sera faite par une sage- femme avec laquelle je parlais assez souvent.

Vendredi 12 décembre 1975 : l’opération devait être faite à 10 heures or à 12h30 j’étais toujours dans ma chambre. Mon état  nerveux était à son comble . Puis, enfin, le moment tant attendu arrive. Les préparatifs sont impressionnants.
Les deux internes (un européen , une noire) qui m’opèrent sont sympathiques et me racontent comment cela va se passer.  Ils s’inquiètent du fait que je désire tant un garçon. 
- Mais si c’est une fille ?
- Cela ne fera rien !
A tout à l’heure me disent-ils et on m’endort.
Puis j’ai la sensation d’être secouée.
- C’est un garçon !
- Un gar… gar...çon
- Il est normal ?
- Oui, il a tout ce qu’il faut au bon endroit !
Puis, retour dans ma chambre où m’attend Pierre qui t’a déjà vu.
Ce premier contact on ne peut le décrire… comment comprendre que ce petit être que l’on tient dans ses bras était quelques heures auparavant encore dans son ventre… Pendant un court instant quel sentiment est le plus fort : la joie ou l’incrédulité ?
Puis la joie domine. Quelles heures après l’impact de ta présence était tel que j’avais l’impression de t’avoir toujours eu à  côté de moi.

Le samedi 19 décembre à 6 heures c’est la première tétée. Quelle joie ! enfin j’ai l’impression de faire quelque chose pour toi (il faut dire que j’avais été frustrée de t’avoir mis anormalement au monde).
Cette tétée que je donne me réhabilite un peu à tes yeux… Avec les heures qui passent j’ose de plus en plus te toucher. Tu pleures peu et au début cela me donne de l’assurance…
Chaque matin, je regarde la puéricultrice qui te change, je me renseigne sur ta prise de poids journalière.
Tu trémoles, on te fait le test du sucre et du calcium, je suis dans tous mes états…
Dimanche 21 nous sortons de l’hôpital pour aller chez Papa Jules à Montreuil.
Très vite, le mardi 23 tu tombes malade (diarrhée) amélioration très nette le mardi suivant. Mercredi rejet du biberon. Le pédiatre conseille un changement de lait, anti –vomissement. Une lettre nous est en même temps remise pour passer une radio de l’estomac si les vomissements  persistaient.
    
31.12.
- Consultation chez le pédiatre.
- Recrudescence de la diarrhée.
- Couleur de la peau.
- Variation de la couleur des yeux.
- Fatigue de L, se remet lentement.
- H a souvent le hoquet.
- Fait une petite bouche pointue.
- Petits geignements pendant le sommeil.
- Regard "extatique".






6.04.
DES VISAGES VIENNENT DU FOND DE L’OMBRE

Les maisons sont vides,

le vent les traverse.

Parfois tombe une averse

sur la terre et ses rides.
 

Des enfants dorment sous l’arbre

qui se remplit d’étoiles.

La nuit étend son voile

sur les tombeaux de marbre.

Des visages viennent du fond de l’ombre

et se perdent dans la clarté.

D’autres restent tristes et sombres

au passage de la beauté.


La main s’étend sur la table,

mais le pain est absent.

La faim est épouvantable.

Dehors danse le vent. 


QUI VIENT SUR LE CHEMIN DES PAUVRES ?
 

Qui vient sur les chemins des pauvres ?

Qui es-tu visiteur du soir ?

Depuis le matin j’attends

debout près de la porte.

Tu approches,

tu restes silencieux,

tu souris

et tu t’en vas

te perdre dans la nuit.


Paris, 26.4.

Chers tous,

Merci pour le petit caniche venu me souhaiter bon anniversaire !

Mon 39° printemps ! Bigre ! et toujours pas marié…

C’est justement pour cela que je vous écris.

Nous avons décidé, Pupuce et moi, pour des raisons administratives (mutation de Madame l’institutrice spécialisée) de liquider la chose avant notre départ en vacances. Cela se fera donc ici à Paris, dans les prochaines semaines. Nous sommes en train de constituer le dossier : pourriez-vous pour se faire m’envoyer un extrait d’acte de naissance ?

Tout cela n’est qu’une formalité administrative et nous fêterons dignement l’événement cet été en Alsace, toute la famille réunie.

A part cela, le train-train normal entre le travail et les études. Tout le monde se porte printanièrement. Le Père Grette poursuit l’aménagement du sous-sol. Les filles Grette attendent que ça se passe… Moi, je me laisse dorloter, estimant qu’à l’âge vénérable où je suis parvenu, il est temps de me caser ! Non ! j’ai plutôt le sentiment que tout ne fait que commencer…


NOVEMBRE 

Université de Vincennes. On évoque l'assassinat de Pasolini.

 


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