6.5.06

LES FOLLES DE KUKUXVILLE

LES FOLLES DE KUKUXVILLE

Elsa Culoche je m'appelle. Elsa la dingue, comme on me surnomme dans le patelin. Il est vrai que je ne les ménage pas, les Kukuxvillois. Ils se demandent toujours quelle nouvelle extravagance je vais inventer. Mais ce jour-là, j'ai, selon leurs dires, dépassé toutes les bornes de la bienséance.

Voilà les faits. Un matin, c'est un matin d'été dégoulinant de lumière et poisseux de chaleur. Je sors faire quelques courses dans la grand'rue et me dégourdir les guiboles sur la place de l'Hôtel de Ville. Je suis plutôt court vêtue, ne portant en tout et pour tout qu'un corsage bleu très décolleté et passablement transparent et un short en jean très savamment ajouré, lacéré, frangé si bien que ma croupe de bonne pouliche montre abondamment sa peau, un kouguelopf appétissant dans un emballage mal ficelé et troué. Une perruque bleue surmonte ma caboche comme un artichaut qui aurait trempé dans une encre pâle. De grosses lunettes de soleil rondes, bleues elles aussi, dissimulent mes mirettes. Des bracelets turquoise chatoient à mes poignets et des godasses aux semelles exagérément hautes couleur azur profond rehaussent un peu ma petite taille car je suis plutôt courte sur pattes et bien dodue, un bout de femme bien en chair. Et de la chair, j' en offre généreusement aux regards des passants et des automobilistes klaxonnant tandis que j'arpente d'un pas vaillant le
trottoir, un cabas assorti pendu à mon bras.

J'entre chez le boulanger-pâtissier pour acheter mon pain. Planté derrière son comptoir, il me lorgne de ses prunelles concupiscentes tout en me débitant des baratins obséquieux. Dans son ciboulot, il doit pétrir la pâte molle de mon corps, palper de ses paluches les miches de mes fesses, arrondir ses doigts autour des meringues laiteuses de mes seins, oh! l'enfariné! Il faut dire qu'il ne s'éclate pas beaucoup avec sa boulangère, planche à repasser revêche, qui le surveille d'un oeil terrible agrippée à sa caisse.

Je sors vite faite de là pour respirer un air salubre. J'arrive sur la place de l'Hôtel de Ville. Des gens sont attablés à la terrasse du bistrot. Des ouvriers communaux s'affairent autour d'un massif de fleurs. Je m'apprête à m'asseoir à une table de la terrasse à l'ombre d'un parasol quand j'entends siffler dans mon dos et des voix moqueuses s'élever :"Y en a qui se croient à Saint-Trop ici!" Je me retourne. "Hé! Elsa!. On fait du strip-tease?"Ce sont les braves agents municipaux qui rivalisent d'esprit le plus lourdingue à mon égard. Les voici psalmodiant en choeur: "Culoche, ton cul est moche! Culoche, ton cul est moche!"

Cette pétarade de plaisanteries méchamment imbéciles et de basse vulgarité me touche en plein ventre. Je sens la colère surgir en moi, cette sorte de colère irrépressible qui vous incendie soudain tout l'être et vous fait perdre le contrôle. Et voilà que je fonce droit sur la bande braillante et ricanante.
- Ah! vous voulez voir mon cul, Eh bien! le voilà!
Aussitôt dit, aussitôt fait. J'ôte prestement mon corsage et mon short. Je les fourre dans mon cabas. Suit la petite culotte bleu pastel que je brandis triomphalement au nez des loustics éberlués. Je braque vers eux mon torse agressif, je projette vers leurs prunelles fascinées les torpilles de mes nichons. Je fais volte-face et leur expose mon derrière en m'administrant des claques sonores sur le tam-tam des fesses. La gêne gagne leurs trognes de ploucs. Ils ont à présent l'air plutôt stupides, ils sont presque comiques avec leurs faces d'ahuris, leurs tabliers de jardiniers, leurs binettes et leurs arrosoirs à la main.

La scène inattendue attire les consommateurs installés à la terrasse du bistrot et d'autres badauds. On s'attroupe autour de nous. Voyeurs qui se rincent l'oeil, bonnes femmes offusquées, ados gesticulants et hilares. Les mères cherchent à éloigner leurs rejetons de ce spectacle scandaleux. Mais les enfants leur échappent et viennent s'accroupir au premier rang pour assouvir toute leur curiosité, les yeux exorbités. Je fends la houle des visages médusés et me dirige, toujours dans le plus simple appareil, vers la fontaine qui se trouve au milieu de la place. Je pose mon cabas, enjambe la margelle de la vasque, entre dans l'eau dont je m'asperge, en profitant pour éclabousser les spectateurs. Des enfants m'imitent et cela tourne aux jeux les plus débridés.

Nos espiègleries sont bientôt interrompues par une voix autoritaire. Monsieur le Bourgmestre en personne est sorti de son bureau, averti des événements insolites qui se déroulaient sous sa fenêtre. Le voilà qui tente de me ramener à la raison. En réponse, il reçoit à son tour une bonne giclée d'eau fraîche en plein visage. J'en ai trop fait. J'ai outragé l'Autorité. Le Bourgmestre ordonne à ses agents de s'emparer de moi. Il s'ensuit une course-poursuite à travers la place, une cavalcade digne des films de Charlot. Tantôt nous bousculons les chaises et les tables du bistrot, tantôt nous piétinons les massifs de fleurs à la gloire des blasons de la commune... La chasse à la fofolle impudique se termine à mon désavantage. Deux gros-bras à la poigne de fer m'immobilisent comme une malpropre et me conduisent devant l'homme au complet veston, dûment cravaté, qui règne sur la bourgade. Masque sinistre, qui feint l'impassibilité, mais derrière la face glabre on sent bouillir l'envie de se venger, de gifler cette dingue sans vergogne, cette irrespectueuse, cette fouteuse de merde. L'homme cravaté ordonne de me couvrir. Quelqu'un ramène une grande serviette de bain dans laquelle on m'enveloppe comme une momie. Assez vu ces formes pulpeuses...

- Je vais vous faire arrêter et inculper pour outrage aux bonnes moeurs et outrage à magistrat, profère l'Autorité.
Et c'est à ce moment précis, alors que boudinée comme un sac de pomme de terre je suis aux mains des infâmes sbires de la Municipalité, c'est à cet instant de mon martyre que se produit la chose la plus surprenante de cette mémorable journée. Une femme que nous ne connaissions ni d'Eve ni d'Adam, une certaine Madame Holzbein, s'approche de nous et toise le représentant de l'Autorité.
- Laissez-la en paix et lâchez-la.
- Je vous en prie, Madame, ne vous mêlez pas de cela.
- Si, je m'en mêle . Les vrais fauteurs de trouble, ce sont vos propres gens et non Mademoiselle Elsa. Lâchez-la ou moi aussi je vous montre mes fesses.
- Je vous le répète, ne vous mêlez pas de cette affaire et éloignez-vous.
Madame Holzbein, loin de s'éloigner, constatant l'obstination du Bourgmestre, se met calmement à dénuder sa poitrine. L'Autorité cravatée sort son portable de sa poche et s'apprête à appeler la maréchaussée. Une autre femme imite Madame Holzbein, puis une autre, puis encore une autre. Bientôt toute une troupe de femmes aux bustes dévêtus nous encercle pendant que d'autres, mégères au verbe haineux, vocifèrent des "salopes! salopes!" Le Bourgmestre ne sait plus à quel saint (s.a.i.n.t.) se vouer . Toute cette forêt d'amazones aux poitrines guerrières, tous ces braillements injurieux de commères adipeuses.

La perplexité commence à se lire sur ses traits. Que va-t-il faire? Il commence à composer le numéro quand quelqu'un à la voix aiguë le hèle et s'approche de lui. C'est sa femme, Madame la Bourgmestre en personne, alertée par tout ce grabuge. Elle se plante devant lui et le dévisage fixement. Une joute s'engage entre eux. A chaque chiffre qu'il enfonce, Madame ôte un de ses vêtements. Bientôt le doigt se fige au-dessus du cadran. L'homme au complet veston en face de sa femme aux tétons dénudés renonce à aller au bout de sa résolution.
- Lâchez-la, dit-il aux brutes qui me retiennent.

Applaudissements des amazones, huées des mégères. On me porte en triomphe dans une joyeuse bacchanale. On se rassemble autour de la fontaine, on danse au soleil rigolard et on s'asperge comme des folles pendant que les lugubres machos de la Municipalité s'éloignent tout penauds et s'engouffrent dans l'obscurité des voûtes gothiques de l'Hôtel de Ville.

26.4.06

L' EXTREME PRESENT

Vivre l'extrême présent. Consentir sans réserve au temps sans fuir dans un passé ou un avenir imaginaires. Etre absolu oui.

16.4.06

16.2.06

ECRIRE

Celui qui en écrivant ne pense pas écrire l'essentiel en vérité n'écrit pas.


Toujours tenter de dire à nouveau l'inouï avec la vieillerie usée des langues humaines.


L'écriture, parfois, comme dernier recours pour sauver sa vie.


Ecrire contre la mort, tout contre. Pour témoigner de la vie jusqu'au bord du gouffre.


Ecrire pour donner à manger, pour nourrir le feu.


Risquer sa vie, jouer son âme à chaque mot.

26.1.06

VIVRE



Vivre, c'est apprendre à naître.


Nous naissons, nous mourons, et entre temps nous faisons semblant de vivre.


Toute la vie, nous attendons quelque chose d'indéfinissable qui ne vient jamais, et ce qui vient, nous ne l'attendions pas.


La vie n'est jamais banale. C'est notre insensibilité, notre état de non-éveil qui la banalise.


Vivre lumineusement, non sérieusement.