25.12.15

LABYRINTHE DES JOURS 1964


1964
(Sans date.)

Publication de VIDE dans LA VOIX DES POETES. Première occurrence du pseudonyme.


Comment peut-on être sans aimer être?

C'est la mort qui me faire croire à l'amour.

L'intelligence éclaircit, l'amour éclaire.

Ce qui est proprement divin, c'est que l'homme ait conçu Dieu.

Il me semble parfois savoir l'homme.

Peu d'hommes parviennent - et qu'en des moments privilégiés - à l'intuition exacte de leur situation de mortels.

Temps : délayage de l'horreur de la mort dans les eaux troubles et tièdes de l'illusion.

Mort : brutal cassure du temps, projection infiniment violente hors des douceurs de la durée.

Nous tuons le temps en vivant vaguement, mais lui nous tuera tout de bon.

Génie : ce jeu étrange avec la mort, cette bizarre danse devant le trou, avec des clins d'œil au dragon imperturbable qui y somnole, en attendant de nous dévorer.

Familles. Nœuds de tendresses qu'impitoyablement tranchera le glaive de la mort.

Après la densité de l'enfance, le temps coule, horrible hémorragie, coule
vers la mort.

Si rien d'autre ne soutenait mon existence, je vivrais au moins par curiosité.

Les vivants, les splendides, les rassurants êtres vivants qui nous entourent, nous font oublier que nous sommes mortels.

Cette vie est moins qu'un souffle fugace, mais c'est notre unique vie.

Nous ne touchons jamais l'os de la réalité, étant des ombres, des ombres égarées dans un gouffre qu'elles distinguent à peine, dont elles effleurent les parois, et qui soudain béant les engloutit. Même cette fin si certaine est un phantasme que nous passons notre vie à vouloir à la fois palper de nos mains et dissimuler derrière les luxuriantes flores de notre imagination. Ainsi n'aurons-nous été que des songes fugitifs, des nébuleuses origines de notre conscience à son inconcevable disparition, à moins qu'au dernier instant... Mais je crains bien que dans la plupart
des cas le dérisoire filet de l'esprit ne se perde indistinctement dans les sables du non-être et que l'éclat de vérité du dernier instant ne soit qu'une fable de plus.

Pascal :"Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre". Voire. Le saurions-nous, que nous tomberions des serres de la folie mondaine dans celles de notre propre folie, parmi le sabbat de nos démons intérieurs, qui nous divertirait autant de nous-mêmes.

Notre guerre intime n'oppose pas le corps et l'esprit, mais l'esprit et l'esprit. Le corps en est le champ de bataille.

Chacun est meilleur et pire que les autres ne l'imaginent.

Chacun est un fou qui se prend pour lui-même.

Un homme qui se proposerait de vivre devant une glace, d'y refléter le moindre de ses actes, la nutrition, la défécation, le labeur, la copulation, etc..., sa raison résisterait-elle longtemps à un tel spectacle?

Nos vies? des folies qui n'ont pas été poussées à bout.

Un jour humain : cent petites victoires et cent petites défaites.

Les extrêmes seuls enseignent l'homme, excès de conscience, extase, souffrance, crime, solitude, mort. Mais l'extrême plaisir embrume.

La souffrance viole, le plaisir voile. Souvent, quand on n'a plus aucune consolation, quand de toutes parts on est exposé aux morsures du monde, la chaleur de notre corps reste notre dernier refuge. Refus de la crucifixion.

Même devant la mort certains paraissent. Il y a de ces dernières paroles qui ne sont pas plus que l'ultime réplique de la comédie.

Ceux qui n'ont pas le courage de vivre les extrêmes les imaginent. Écrivains.

Quelle époque a été satisfaite d'elle-même?

Ici et là, à droite, à gauche, on surenchérit d'imprécations, d'accusations contre les mœurs actuelles. Mais où sont les coupables? Il n'y a plus que des juges.

Époque narcissique, démesurément obsédée par soi-même. Jamais siècle n'a autant parlé de lui-même.

Ce siècle du nombre a perdu le nombre de la vie.

Notre tâche : formuler une nouvelle sainteté.
16.8.
Départ pour Paris avec RK.

Août- décembre.
Paris. Effondrement. Dans les rues sanglotant.

16 AOUT - PARIS - Rupture, grande guerre avec moi. Ne peux vaincre mon angoisse. Fatigue. J'erre dans Paris comme une ombre. Avec Richard à Pigalle, Montmartre. Laideur douloureuse.

17 AOUT. Louvre. Acculé à moi-même. S'abandonner. S'oublier . Courbe inflexible de mon existence. Comment je suis inéluctablement amené à n'être plus que ce jaillissement au centre de moi-même.

19. Musée Victor  Hugo. Musée de l'Homme (fatigue). Chez Louis Weiss.

22. Adhésion inconditionnelle au labeur de vérité. Paris m'est une blessure continuelle.

24. Demande de congé.

26. Départ de Richard. Bibliothèque du XVe.

27. Désespéré. Plus aucune envie, plus aucune force de travailler.

28. Verlorenheit. Ne parviens pas à me reprendre. Écrire malgré tout. M'oublier. Palaiseau. Bibliothèque du XVe.

29. Me cramponner au présent comme à l'ultime bouée de sauvetage.

30. Lettre aux miens. Visite de la maison de Balzac.

31. Oblomovité. Désarroi. Doutes. Démons les plus vils. Vu en août : "Los Olivados (Bunuel), l'âge d'or (Bunuel). Contes de la lune vague (Mizoguchi) ; revu : Ivan le Terrible (Eisenstein).      

SEPTEMBRE

I. Ta voie ? Celle du plus grand don? Vide, ouvert, prêt à tout, prêt pour tout.

2. Le terrible est qu'on ne peut pas se quitter, pas une seconde. Quoi qu 'on fasse, on est pris au piège de son existence, il faut de quelque façon dénouer son drame.

3. Pantin.

4. Tout ce que je vis, n'est-ce pas de la folie? Voie. L'essentiel est de découvrir sa voix pure et de trouver assez de force (assez d'innocence) pour ne plus vivre que pour l'exercer envers et contre tout.

L'Idiot, avec Gérard Philippe ; Macbeth, d'Orson Welles.

5. Feu follet, de Louis Malle. Crise de larmes.

6. Vincennes. Fille.

12. Lettre de l'Inspection. Il me fait préciser la nature de mes activités. Intense sentiment de la Verlorenheit. Pleurs abondants (Champ de Mars). Chambre : retrouve le calme.

14. N'être plus que feu. Me donner corps et âme à l'entreprise d'amour.
Téléphone à l'Inspection d'Académie de Colmar.

18. Bond hors de la puérilité.

20. Radio : journée Péguy.

24. Poste Centrale. Vois Alain Cuny. Envoie "Lettre ouverte aux princes de l'esprit" à "Arts". Tout donner. Libre.

30. Mise en disponibilité.

1.12. Téléphone à ESPRIT pour demander un rendez-vous. Promenade dans
la neige.

2. Me jeter contre la vie.Le jeu est toujours trouble. Mobiles confus.
Bibliothèque de l'Arsenal. Aphorismes de Kafka
Le soir, allé chez Jean-Pierre Weiss.

3. Travaille à L'ENFANT DE LUMIERE, dont j'ai fait la première esquisse il y a une semaine.

AOUT-DECEMBRE                             

Dès le premier jour à Paris, la fatigue et le dépaysement y aidant, l'angoisse me submerge. Je me représente l'immensité terrifiante de la ville qui risque de m'engloutir et ma solitude au milieu de cet océan ; je vois la laideur, la brutalité de la vie qui m'environne. Pourrai-je vivre dans cet enfer? Je cède au doute, à la faiblesse, à la nostalgie. Que suis-je venu faire ici? Ne me suis-je pas trompé de route? Pourrai-je me battre contre ce léviathan? Je voudrais fuir, n'avoir pas formé tous ces projets téméraires. Je perds tout courage, toute volonté. Je coule.

Bruits, laideur des rues, des murs, des couloirs du métro, des visages.

Concevoir quelque chose de clair et de pur qui, un jour, puisse entrer en guerre avec cette laideur et ce vacarme et soulever cette immense poussière de la ville et la purifier.

Il faut que certains hommes se tiennent nus devant ce mystère, qu'ils n'aient plus comme fonction que de le regarder en face sans broncher.

Vivant, regarder le monde et la mort en face, sans placer entre eux et l'âme un écran.

Peut-être ne comprenez-vous pas un mot de ce que je dis. Peut-être suis-je seul sur terre...

Il faut oser s'arracher, oser aller à la dérive sur l'océan de sa propre vie.
Oser n'avoir plus de route fixe à suivre, plus de buts précis à atteindre.
Oser cela pour découvrir ce qu'est vraiment la vie des hommes en dehors de leurs petites affaires.

Car la vie ne consiste pas seulement en petites affaires, elle est mystère, elle est mort.

S'arracher pour se retrouver. Se perdre pour se gagner. On ne sait ce qu'on est et ce qu'on vaut que lorsqu'on sort de soi et du cercle confortable de ses habitudes, de la facilité de vivre. Alors on est précipité dans le monde, contre l'impitoyable réalité, contre les rugosités de la vie terrestre  Alors on saigne, on mène une lutte âpre, on s'ouvre à la lumière ou l'on périt. C'est un jeu cruel auquel il faut courageusement se soumettre. C'est un affrontement atroce.

Je ne parviens pas à me reprendre. Les risques auxquels gratuitement je m'expose me terrifient.

Chaque jour recommencer à se battre contre la ville, pour se déplacer, pour manger, pour dormir, pour s'asseoir, pour penser, pour écrire. Et seul. Au cœur de la folie moderne, en contact direct avec elle.

Quelles que soient les circonstances de ma vie à venir, je n'aurai plus qu'un seul but : lutter avec la vérité. Ne plus me cacher, ne plus faire semblant.

Je chie sur la littérature qui se fait à Paris, sur l'art qui se fabrique à Paris.

OCTOBRE.
2. Homme de nudité et de lumière.

3. Tout mon désir de sainteté : words, words, words ! Hier j'ai eu honte d'aider une vieillarde qui s'essoufflait à traîner un paquet, de marche en marche, dans un escalier du métro. Survient une demoiselle qui, elle, saisit le fardeau sans hésiter. Au haut de l'escalier, son visage avait rosi : était-ce l'effet de l'effort ou celui de la gêne d'avoir accompli une bonne action?

4. Lettre à Jean Wojtaszek. Tente de lui expliquer le changement advenu
dans ma vie.

17.Festival Godard à la cinémathèque.

18 .Eisenstein. Symphonie muette.

Crépuscule admirable. La Seine reflète dans ses eaux sombres et silencieuses les lumières de la ville et la dernière clarté du ciel. Paris livre ainsi sa beauté au hasard des heures et des promenades.

19. Travaille à "SIGNES DE LUMIERE".
Conférence salle Chopin-Pleyel (Pourquoi sommes-nous au monde?).
Quelques galeries de la rive droite.

20 .Achève "SIGNES DE LUMIERE". Relis "LETTRE AUX PRINCES".

21.Envoie "LETTRE OUVERTE AUX PRINCES DE L'ESPRIT" à "ESPRIT"
et "SIGNES DE LUMIERE" aux "NOUVELLES LITTERAIRES". Seul.
Seul devant ma vie, devant ma mort. Qui pense à moi, à moi, être humain?


27.Rêve. Chez Jean Wojtaszek. Vieille guimbarde dans un grenier sur
laquelle s'acharne une horde d'enfants. Sa mère m'embrasse interminablement.

31. Envoie "LE POUVOIR SOUVERAIN" à l'"ALSACE".

1° NOVEMBRE. Rêve. Je viens m'expliquer à Ensisheim. Parle surtout à Mme Muller. Accident terrible. Collision de deux camions. On dit que l'un des occupants est mort un révolver à la main. Visions troubles. Ma chambre parisienne et celle de Pulversheim se confondent. Portes s'ouvrant.
Présence démoniaque à gauche du lit. Peur.

3. Signification de 54. Je me rebelle contre l'écriture gratuite, littéraire. Ne
pas écrire sans avoir quelque chose à dire.

4. Envoie "Bête de nudité et de lumière" au "Manifeste de la jeune littérature (Strasbourg).

5. Une grande force en moi, aveugle, naïve, et qui avance.

6. Exposition Franz Kafka.

7. Lettre de Jean-Louis Klotz (Manifeste de la jeune littérature). Texte accepté. Me propose de faire un recueil de ma prose. Me demande d'autres textes.

9. Envoie "POUR NAITRE" aux "Lettres Françaises".

10. Rêve. Bête dans la nuque. Je me réveille. La bête fuit de ses mille pattes sur le drap entourée d'un halo. Hallucination.
Larmes de joie. L'air que je respire est l'amour.

14 .Lettre à Jean-Louis Klotz. Remerciements.

17.11. Vois, par hasard, passer le cortège du Roi Hussein Boulevard Montparnasse.

18. Envoie NOMBRE au FIGARO LITTERAIRE;

21. Réponse d'ESPRIT; Jean-Marie Domenach me demande venir le voir.

28. Bibliothèque du XVe : traduis Lettre d'un Poète de Robert Walser.

29. Lettre d'un Poète.

Vu en septembre, octobre, novembre : La Passagère (Munk), Le Désert
rouge (Antonioni), Sept jours d'une année. Octobre (Eisenstein), A bout de souffle (Godard), L'Immortelle (Robbe-Grillet), La vie à l'envers (Jessua), L'Idiot (avec Gérard Philippe), Le Feu follet (Malle), Nouvel art américain. 

4.12. Envoie "A l'Enfant de lumière" à André Beucler (Bureau de Poésie, ORTF).

5.12. Radio : Maine de Biran.

Bibliothèque de l'Arsenal. Travaille à ce journal (dont j'ai extrait toutes
les notes jusqu'ici de mes divers carnets et cahiers tenus depuis mon arrivée à Paris). Conscient qu'une nouvelle période de ma vie commence ici, en cet automne 1964 parisien - incipit vita nova - j'ai cru bon d'en faire le journal exact. Naturellement toutes ces notes sont trop brèves et n'enregistrent que médiocrement tous mes mouvements intérieurs depuis le 16 août. Il me faudra, dès que j'aurai l'esprit un peu plus libre, par exemple à mon retour à Pulversheim, faire un bilan plus ample et plus profond de ces mois décisifs.

Puis-je croire que j'ai échappé définitivement à mes démons?

Radio : Gérard Philippe.

6.12. Journal.
Radio : journée Romain Rolland.

7.12. Mein Kampf. N'essayer de noter ici que ce qui concerne ma guerre.

Pensé souvent ces derniers temps à un retour intégral au catholicisme.
Mais je sens que ce serait trahir ma vocation.

Je voulais la vérité ; maintenant je veux la vérité de l'amour. Voilà le changement de point de vue essentiel qui s'est opéré en moi durant ces mois à Paris.

Au fond, cette volonté de vérité, ce projet d'analyser les valeurs à partir d'une attitude d'absolue neutralité, d'un point zéro de l'humain, cachait le désir plus ou moins conscient de me maintenir out of the world, de ne pas entamer la citadelle de mon moi.

Sous le couvert de l'analyse de vérité, une morale de spectateur, de jouisseur passif.

Tout cela très confusément, imputable en grande partie à de fausses représentations intellectuelles. En fait, tout est en place depuis le printemps 63. Mon expérience parisienne ne fait que clarifier les choses : il n'y a rien à chercher, rien à trouver (illusion du chercheur de vérité), il suffit d'aimer, tout est en nous.

Métamorphose du chercheur de vérité en ouvrier d'amour.

À exprimer tout cela plus clairement. Saisir la lente transformation de mon point de vue depuis les origines de mon devenir spirituel jusqu'à cette sorte d'épanouissement parisien.

Sens de l'efficacité d'un journal. Dialogue de l'âme avec soi-même.
Clarification et révélation.
Radio : Milosz.
Lettre aux miens

8.12. Dois aller à "Esprit". Angoisse.

Traduis quelques "fragments" de Novalis.

Volonté d'amour. Rien à trouver, tout à créer.

Rêve. Avec une fille. Traversée de parcs, de jardins. On arrive à une maison coquette. A l'entrée de la chambre de la fille, deux cadavres contenus dans des sacs plastiques, un homme de grande taille, en complet veston et coiffé d'un chapeau mou, un autre corps, plus informe, recroquevillé.

A "Esprit". Éloges et critiques. Ma "lettre ouverte" serait à remanier, à
raccourcir. Je sentais les défauts évidents de ce texte, sa tendance au pathos. Difficile de trouver la grande respiration du verbe moderne.

Jean-Marie Domenach. Abordable. Lancé dans son discours, ne vous regarde pas ; assis de biais, fixe un point quelconque du bureau, palpant sa parole de ses mains. M'invite à venir assister aux réunions de la revue.

Je lui laisse ma traduction du "Brief eines Dichters" de Robert Walser, auteur dont il ignore jusqu'au nom.

9.12. "Lola" (Demy). Monde des femmes sous toutes ses formes : mère (Lola)
- foi (Lola) - souffrance secrète  et pudeur (Lola) - courage, entrain quotidien (Lola) - art, séduction, charme démoniaque, chair (le cabaret) - premier amour (Cécile I, Cécile II) - dame, moralisatrice (mère de Cécile) - rêve (Lola, Cécile, mère de Cécile) - émotivité (Lola, les danseuses, mère de Michel) - compréhension, bonté (les hôteliers, Lola) - comédie (mère de Michel, mère de Cécile)...

Les hommes ne semblent vus qu'à travers ce prisme de l'univers féminin
: l'enfant (l'enfant de Lola, Michel) - l'homme arrivé retour des îles (Michel) - le rêveur, l'inadapté (Roland) - l'homme qui passe, qui cherche l'aventure (les marins). Jamais un homme réel ; l'homme insaisissable, qui ne semble exister que pour nourrir l'éternelle  peine des femmes. Naturellement le happy end paraît contredire cette conception de l'œuvre. Mais une des dernières séquences ne nous montre-t-elle pas encore et toujours le tourment sur le visage de Lola à la vue de
l'abandonné, de celui qui part sans espoir, emportant sa solitude? Éternelle déchirure du cœur féminin.

Pensé à la vision rilkéenne de la femme.

10.12. "Lola", "les  Parapluies de Cherbourg". Curieux mélange de modernité et
de poésie quotidienne, humaine.

Ma tâche : dépasser l'art. Tout dans mon être doit servir à l'accomplissement d'une vocation encore indéfinissable.

Croire à ce qui parle en moi.

Prendre de plus en plus conscience de cette vocation plus large.

11.12. Grève de l'électricité. Promenade à travers la ville obscure.

12.12. Mère m'écrit avoir reçu la "Voix des Poètes" contenant un de mes poèmes. En effet j'avais envoyé un texte à  cette revue il y a quelques années. Je croyais cela bien oublié. En tous les cas, je renie ce poème absurde.

Lettre à Patrice Hovald. Lui envoie "Nombre", Signes de lumières", "A l'
Enfant de lumière".

Lettre aux miens. Leur envoie "Nombre", Bête de nudité et de lumière".

Cinémathèque : "La passion de Jeanne d'Arc (Carl Dreyer). Une gageure.

Soir. Fouille dans mes papiers pour retrouver le manuscrit du poème publié dans la "Voix des Poètes". Avais cru ce matin avoir envoyé un autre texte. Retire partiellement ma dure parole proférée contre mes pauvres vers. Repense "Vide" selon mon optique actuelle. N'est-ce pas prémonitoire? "L'habitat froid", c'est le séjour terrestre, ma vie, Paris, l'époque, "où pourrissent mes ailes" d'être chimérique. Toute la physique spirituelle déjà dans "afin que vide je revive à l'occident des herbes". Toute ma détresse parisienne dans :Désert des corps glacés où trainent hagards mes visages perdus. Tout le drame de l'hésitation entre la folie d'être et la tentation de ne plus être dans : oscillant entre vertige et mort.

Insolite réapparition de ce texte.

13.12. Église, St Germain des Prés.

Odéon. "Il faut passer par les nuages" (Billetdoux). Recherche d'un langage nouveau, mais vieille matière. Tentative avortée de passer par les "nuages" modernes bourgeois.

J'ai à refaire mon éducation.

16.12. Radio: "Lucrèce Borgia" (Hugo)

17. Lettre à Koehl. Lui envoie "Bête de nudité de de lumière", "Aux Princes
du siècle" (nouveau titre de la "Lettre ouverte"), "Le pouvoir souverain".

Lettre à Gerrer. Lui envoie :"Aux Princes du siècle", "Nombre".
Lettre à mes collègues d'Ensisheim.
"Kanal" (Andrej Wajda).

18. Au Panthéon. Transfert des cendres de Jean Moulin. Discours enflammé de Malraux.

19. Retour à Pulversheim.
Dans le train, je termine l'Évangile de St-Jean (le matin de mon arrivée à
Paris, en août, je lisais "Ainsi parla Zarathoustra").
Lettre de J.M. Domenach à propos de ma traduction du « Brief eines Dichters".
Lis le numéro d'été 64 de la "Voix des poètes" contenant "Vide".
Première apparition de ma signature au sommaire d'une revue.
Lettre de Patrice Hovald.

23. Radio :"Richard II" (Shakespeare)

26. Nostalgie de Paris.

27. À tout instant reprendre la lutte contre le dégoût.
Télévision : "La mégère apprivoisée" (Shakespeare)

28. De ma table, je regarde tomber la neige lente. Je me rends compte de la
grâce particulière dont je jouis de pouvoir à longueur de journée me nourrir le regard de ce paysage d'arbres et de calme.

29. Réponse du "Bureau de Poésie". Mon poème trouvera peut-être place
dans un de ses sommaires.

30. Mulhouse. Rencontre par hasard Koehl à la librairie UNION. M'invite chez lui pour le deuxième jeudi de janvier.  





 ETE 1964.

Départ pour Paris avec l’idée de couper définitivement avec ma vie en Alsace, de tout recommencer à zéro. C’est effectivement la grande coupure de mon existence, le début de plusieurs années de travail, d’études, de voyages qui changent complètement mon destin.



16.8.

Départ pour Paris avec RK.
Rupture, grande guerre avec moi. Ne peux vaincre mon angoisse. Fatigue. J'erre dans Paris comme une ombre.
Avec Richard à Pigalle, Montmartre. Laideur douloureuse.
17 AOUT.
 Louvre. Acculé à moi-même. S'abandonner. S'oublier . Courbe inflexible de mon existence. Comment je suis inéluctablement amené à n'être plus que ce jaillissement au centre de moi-même.
19. Musée Victor  Hugo. Musée de l'Homme (fatigue). Chez Louis W.

22. Adhésion inconditionnelle au labeur de vérité. Paris m'est une blessure continuelle.

23. Devenant ma vérité, je deviens  corps de  vérité.

24. Demande de congé.

26. Départ de R. Bibliothèque du XVe.

27. Désespéré. Plus aucune envie, plus aucune force de travailler.

28. Verlorenheit. Ne parviens pas à me reprendre. Ecrire malgré tout. M'oublier. Palaiseau. Bibliothèque du XVe.

29. Me cramponner au présent comme à l'ultime bouée de sauvetage.

30. Lettre aux miens. Visite de la maison de Balzac.

31. Oblomovité. Désarroi. Doutes. Démons les plus vils.
 Vu en août :
"Los Olivados (Bunuel), L'âge d'or (Bunuel), Contes de la lune vague
(Mizoguchi) ; revu : Ivan le Terrible (Eisenstein).

Août- décembre.
Paris. Effondrement. Dans les rues sanglotant.