25.12.15

LABYRINTHE DES JOURS 1966



1966
12 octobre . Trois sortes de contacts d'Européens avec le monde islamique :
     - Lawrence, Rimbaud (action);
     - Massignon, Guénon (intelligence) ;
     - Foucauld (mystique).

23 octobre - Absence de l'influence islamique dans l'oeuvre camusienne.

27 octobre - Bruit d'averse du troupeau de moutons avançant sur la route.

1.11. Mardi. Touggourt. Visite de la ville au soleil du grand jour : l'oasis ; les rues couvertes (un dédale obscur, pittoresque, de petites ruelles toutes couvertes, hantées par des enfants au teint terreux, des vieillards courbés, muets, sortant de l'ombre des logis comme de la nuit des siècles, couloirs ténébreux où rôdent mille odeurs indéfinissables, portes entrouvertes sur des habitations misérables où des femmes s'affairent dans l'obscurité) ; cimetière musulman à la décoration funéraire réduite au minimum, quelques pierres blanches alignées, trois pour une femme, deux pour un homme ; tombeaux des rois de Touggourt.

Retour vers l'Aurès via Biskra. Touggourt-Biskra : 200 kms de route rectiligne sous le soleil du Sahara, troupeaux de chameaux. petit arrêt à Biskra pour nous rafraîchir. Biskra - Arris : splendide canyon de l'oued Abiod, route très difficile (étroite et toute en virages dangereux), oasis de montagne (Baniane, Tifelfel) ; petite halte à Baniane où à flanc de montagne est installé un charmant petit relais (on laisse la voiture dans l'oasis - un garçon se propose pour le garder - ; on traverse l'oued à gué, on grimpe un raidillon et on arrive vers un hôtel-restaurant, magnifiquement situé au-dessus de l'oasis, terrasse, groupe de maisons où l'on peut loger et se restaurer, lieu idéal pour une cure de repos ; non loin du relais, des ruines datant de la guerre) ; nous revenons vers la Dauphine, avons quelques difficultés avec son gardien à propos de son
salaire, puis nous repartons ; nouvelle halte à Tifelfel, chez le Belge, Monsieur Etienne : il a des visites, des médecins belges venant d'Alger, nous ne nous attardons pas, restons assez de temps pourtant pour me faire vendre un tapis des Aurès, au poil rèche. Arrivée à Arris à la tombée de la nuit. À Arris, c'est encore l'ambiance de la Fête de la Révolution : nous passons la soirée à trinquer au restaurant avec des Algériens, puis à écouter des chantes à une soirée récréative de la Jeunesse FLN (où, entre autres, un chanteur algérien de Batna interprète une chanson du pied-noir Enrico Macias...). Il y aurait aussi une soirée à la Sous-Préfecture où sont invités les enseignants, mais là je fais forfait,
la fatigue et l'alcool m'obligent à regagner enfin ma chambre. Fin du congé de novembre.


2 novembre - La situation à venir : le célibat, l'utilisation géniale de ma liberté.

Samedi, 5 nov. Sujet de rédaction donné à mes élèves : racontez la Fête de la Révolution à Arris.

Jeudi,17.11. Vais à Constantine avec un camarade d'Arris, Daniel Aubry, originaire de Nancy. Prends au passage à Batna le gros colis (couvertures, livres, etc). Constantine : hôtel des Douanes, où je tente pour la seconde fois de régulariser la situation de ma voiture ; je parviens difficilement  à obtenir une prolongation de mon permis de circuler jusqu'au 13 mars sans payer les taxes douanières. Je sors de là assez soulagé. Au retour à Arris, déballage du colis : trouve en particulier un magnifique Vermeer,
mais, pas de chance, je viens d'en acheter le même à Constantine, sans savoir que le précieux colis le contenait.

18 novembre. Je retombe dans l'erreur de la vie asexuelle. Penser à la jeune fille blonde de Marseille, au soleil de son visage. Penser à la beauté divine des jeunes filles. Ne pas oublier. Tout vivre.

Tu es poète. Tu dois aimer les êtres et les choses d'un amour de poète, chaleureux, multiple.

Algérie, an V.
26 novembre. Don total, don génial de soi.

Le génie du comique est le plus difficile.

Jeudi, 1.12. Encore sur les routes. Batna : Préfecture pour l'immatriculation de ma voiture, Service des Impôts pour un papier (extrait de rôle) nécessaire à la dite immatriculation ; foule compacte à ce service, où je me fais servir en priorité (ce qui est assez courant ici à l’égard des Européens) ; mais la matinée est passée ; lorsque je reviens à la Préfecture pour apporter l'extrait de rôle, les portes sont déjà closes. Je prends la route de Biskra,
où a lieu une réunion syndicale (j’ai été désigné à Arris comme délégué syndical de l'Apifa, Association Professionnelle des Instituteurs Français d'Algérie, la filiale algérienne du Syndicat National des Instituteurs).
Passe par El Kantara. Avant Biskra, sur une route déserte, un camion en panne, dont j'emmène le chauffeur à Biskra,. La réunion a lieu dans la Maison des Enseignants Coopérants : atmosphère peu sympathique; on discute surtout de traitements, d'avancements, on critique, on se plaint, un vrai condensé de la France. Retour à Arris à travers l'Aurès nocturne : impression de grandeur incomparable.

Jeudi, 8 .12. Tous les jeudis, les coopérants français donnent des cours aux jeunes enseignants algériens (moniteurs utilisés dans l'enseignement primaire et dont le niveau varie entre le certificat d'études et le brevet). Ces cours sont nommés Chantiers Culturels, auxquels d'ailleurs tout jeune Algérien, de n'importe qu'elle profession, peut participer. Personnellement, je donne un cours de français, que je commence aujourd'hui. Cela a lieu dans les locaux du Collège d'Enseignement Général, un beau bâtiment tout neuf, aux salles propres et claires (ça me change un peu de mon CEA poussiéreux), situé en-dehors du centre de l'agglomération. Mes auditeurs : des moniteurs d'écoles primaires qui viennent de tous les coins de l'arrondissement d'Arris, des hameaux les plus perdus dans la montagne. Au menu de ce premier cours : une explication de texte sur un extrait de la Charte d'Alger (le programme du
FLN). Qui aurait pensé en 1958 que le troufion français P.K. reviendrait quelques années plus tard en Algérie expliquer aux jeunes de ce pays le programme du FLN? Que tout change vite sur cette terre! Dialogue intéressant sur les problèmes algériens, dialogue qu'il faut conduire avec tact et largeur d'esprit.

16.12. Perdre les dernières traces d'infantilisme.

19.12. Il faut constamment inventer et réinventer sa plus grande largeur d'âme.

20.12. Christ comme « Wende » de l'âme humaine. Contient tout l'ancien et tout le nouveau.

22. Premier jour des vacances d'hiver 1966/1967. Vers 9 h du matin, je quitte Arris pour le Sud., accompagné d'un camarade, le Lorrain Aubry.
Très beau temps. L'Aurès est merveilleux sous ce soleil d'hiver un peu pâli. Petite halte à Biskra où nous faisons provision de films. Traversée des monts du Zab. Le ciel se couvre. Paysages étranges : terres nues, ravinées, immensités nuageuses. Bou-Saâda : marché pittoresque. Puis des paysages de plaines cultivées. Nous approchons de Djelfa : agglomération d'apparence riche, où la griffe de la colonisation reste très visible. La ville est beaucoup plus grande que je ne l'imaginais, beaucoup plus active : vrai centre de commerce. J'y envoie une carte à ses ex-citoyens, les Joseph K. Encore un peu plus de cent kms jusqu'à Laghouat, distance quasi en ligne droite et excellente route que nous
parcourons en un rien de temps, tout en savourant un féérique coucher de soleil aux approches de l'oasis. Laghouat : notre premier souci est de rechercher un hôtel. Nous nous installons dans un véritable palais des Mille et une nuits : décoration arabe, jardin intérieur où en plein mois de décembre mûrissent l'orange et le citron.
 
       Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn,
       Im dunkeln Laub die Goldorangen glühn,
       Ein sanfter Wind vom blauen Himmel weht,
       Die Myrte still und hoch der Lorbeer steht...

Regardant le jardin fleuri de mon hôtel du haut de ma chambre, je me redis les vers de Goethe et y réponds : c'est à Laghouat qu'est le pays où fleurit l'oranger. Hôtel très confortable dont le patron est Algérien et la patronne Suisse. On y parle un curieux dialecte qui ressemble plus au dialecte de Guillaume Tell qu'à celui d'Abd-El-Kader... Avant le repas : tranquilles moments de lecture dans le salon de l'hôtel. Après le repas : promenade nocturne dans Laghouat, où je me perds dans des quartiers qui donnent sur le désert (je suis sorti seul, mon compagnon, un bleu, s'étant écroulé de fatigue après le repas). Vraie sensation de vacances : je retrouve ce sentiment de liberté enivrante que j'ai connu souvent durant mon congé de 64 à 66, à Paris, en Italie,  à Pulversheim parmi les
livres. Ah! pouvoir toujours vivre de la sorte. Je suis fait pour une telle vie, non pour l'autre, l'ordinaire, petit travail, petite maison, petite famille, petite voiture, petite retraite ; le monde est grand, il faut vivre à sa mesure. Evidemment je m'exalte un peu : comment voulez-vous avoir des pensées ordinaires à deux pas de l'énorme Sahara perdu dans la nuit? Je marche dans les ruelles à présent désertes, enfoui dans ma djelaba, le capuchon relevé. Je rentre. Journée bien remplie.

23.12. Laghouat. Nous voici en vacances d’hiver et me voici à nouveau sur les routes d’Algérie. Circuit prévu : Biskra- Bou-Saada – Djelfa- Laghouat (où me rejoignent les Kl)- Ghardaïa- El Goléa- Ouargla- Hassi-Messaoud- Touggourt- Arris.
On passera les fêtes de Noël entre Alsaciens (+ un Lorrain, un jeune collègue d’Arris qui m’accompagne).

26.12. Avons passé la veillée de Noël (avec messe de minuit) à Laghouat.
Sommes arrivés le jour de Noël à El Goléa où se trouve le tombeau de Charles de Foucauld.

28.12. "Il doit y avoir chez l'écrivain comme une harmonie préétablie entre l'expression verbale et le tout de l'oeuvre, une correspondance mystérieuse entre les deux" (Léo Spitzer).

29.12. Je trouve mon séjour ici de plus en plus exaltant. J'ai rarement autant vécu que durant ces derniers mois.                                              

30.12. "Le goût de la concentration productive doit remplacer, chez un homme mûr, le goût de la déperdition" (BAUDELAIRE).

"Une grande âme est au-dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la moquerie ; et elle serait invulnérable si elle ne souffrait par la compassion" (La Bruyère, Caract.de l'homme, 81)
                                                                
30.12. "Le goût de la concentration productive doit remplacer, chez un homme mûr, le goût de la déperdition" (Baudelaire).

"Une grande âme est au-dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la moquerie ; et elle serait invulnérable si elle ne souffrait pas la compassion" (La Bruyère, Caract, de l'homme ,81).







 

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