1966
12 octobre .
Trois sortes de contacts d'Européens avec le monde islamique :
- Lawrence, Rimbaud (action);
- Massignon, Guénon (intelligence) ;
- Foucauld (mystique).
23 octobre -
Absence de l'influence islamique dans l'oeuvre camusienne.
27 octobre -
Bruit d'averse du troupeau de moutons avançant sur la route.
1.11. Mardi.
Touggourt. Visite de la ville au soleil du grand jour : l'oasis ; les rues
couvertes (un dédale obscur, pittoresque, de petites ruelles toutes couvertes,
hantées par des enfants au teint terreux, des vieillards courbés, muets,
sortant de l'ombre des logis comme de la nuit des siècles, couloirs ténébreux
où rôdent mille odeurs indéfinissables, portes entrouvertes sur des habitations
misérables où des femmes s'affairent dans l'obscurité) ; cimetière musulman à
la décoration funéraire réduite au minimum, quelques pierres blanches alignées,
trois pour une femme, deux pour un homme ; tombeaux des rois de Touggourt.
Retour vers
l'Aurès via Biskra. Touggourt-Biskra : 200 kms de route rectiligne sous le
soleil du Sahara, troupeaux de chameaux. petit arrêt à Biskra pour nous
rafraîchir. Biskra - Arris : splendide canyon de l'oued Abiod, route très
difficile (étroite et toute en virages dangereux), oasis de montagne (Baniane,
Tifelfel) ; petite halte à Baniane où à flanc de montagne est installé un
charmant petit relais (on laisse la voiture dans l'oasis - un garçon se propose
pour le garder - ; on traverse l'oued à gué, on grimpe un raidillon et on
arrive vers un hôtel-restaurant, magnifiquement situé au-dessus de l'oasis,
terrasse, groupe de maisons où l'on peut loger et se restaurer, lieu idéal pour
une cure de repos ; non loin du relais, des ruines datant de la guerre) ; nous
revenons vers la Dauphine, avons quelques difficultés avec son gardien à propos
de son
salaire,
puis nous repartons ; nouvelle halte à Tifelfel, chez le Belge, Monsieur
Etienne : il a des visites, des médecins belges venant d'Alger, nous ne nous
attardons pas, restons assez de temps pourtant pour me faire vendre un tapis
des Aurès, au poil rèche. Arrivée à Arris à la tombée de la nuit. À Arris,
c'est encore l'ambiance de la Fête de la Révolution : nous passons la soirée à
trinquer au restaurant avec des Algériens, puis à écouter des chantes à une
soirée récréative de la Jeunesse FLN (où, entre autres, un chanteur algérien de
Batna interprète une chanson du pied-noir Enrico Macias...). Il y aurait aussi
une soirée à la Sous-Préfecture où sont invités les enseignants, mais là je
fais forfait,
la fatigue
et l'alcool m'obligent à regagner enfin ma chambre. Fin du congé de novembre.
2 novembre -
La situation à venir : le célibat, l'utilisation géniale de ma liberté.
Samedi, 5
nov. Sujet de rédaction donné à mes élèves : racontez la Fête de la Révolution
à Arris.
Jeudi,17.11.
Vais à Constantine avec un camarade d'Arris, Daniel Aubry, originaire de Nancy.
Prends au passage à Batna le gros colis (couvertures, livres, etc). Constantine
: hôtel des Douanes, où je tente pour la seconde fois de régulariser la
situation de ma voiture ; je parviens difficilement à obtenir une prolongation de mon permis de
circuler jusqu'au 13 mars sans payer les taxes douanières. Je sors de là assez
soulagé. Au retour à Arris, déballage du colis : trouve en particulier un
magnifique Vermeer,
mais, pas de
chance, je viens d'en acheter le même à Constantine, sans savoir que le
précieux colis le contenait.
18 novembre.
Je retombe dans l'erreur de la vie asexuelle. Penser à la jeune fille blonde de
Marseille, au soleil de son visage. Penser à la beauté divine des jeunes filles.
Ne pas oublier. Tout vivre.
Tu es poète.
Tu dois aimer les êtres et les choses d'un amour de poète, chaleureux,
multiple.
Algérie, an
V.
26 novembre.
Don total, don génial de soi.
Le génie du
comique est le plus difficile.
Jeudi, 1.12.
Encore sur les routes. Batna : Préfecture pour l'immatriculation de ma voiture,
Service des Impôts pour un papier (extrait de rôle) nécessaire à la dite
immatriculation ; foule compacte à ce service, où je me fais servir en priorité
(ce qui est assez courant ici à l’égard des Européens) ; mais la matinée est
passée ; lorsque je reviens à la Préfecture pour apporter l'extrait de rôle,
les portes sont déjà closes. Je prends la route de Biskra,
où a lieu
une réunion syndicale (j’ai été désigné à Arris comme délégué syndical de
l'Apifa, Association Professionnelle des Instituteurs Français d'Algérie, la
filiale algérienne du Syndicat National des Instituteurs).
Passe par El
Kantara. Avant Biskra, sur une route déserte, un camion en panne, dont j'emmène
le chauffeur à Biskra,. La réunion a lieu dans la Maison des Enseignants
Coopérants : atmosphère peu sympathique; on discute surtout de traitements,
d'avancements, on critique, on se plaint, un vrai condensé de la France. Retour
à Arris à travers l'Aurès nocturne : impression de grandeur incomparable.
Jeudi, 8
.12. Tous les jeudis, les coopérants français donnent des cours aux jeunes
enseignants algériens (moniteurs utilisés dans l'enseignement primaire et dont
le niveau varie entre le certificat d'études et le brevet). Ces cours sont
nommés Chantiers Culturels, auxquels d'ailleurs tout jeune Algérien, de
n'importe qu'elle profession, peut participer. Personnellement, je donne un
cours de français, que je commence aujourd'hui. Cela a lieu dans les locaux du
Collège d'Enseignement Général, un beau bâtiment tout neuf, aux salles propres
et claires (ça me change un peu de mon CEA poussiéreux), situé en-dehors du
centre de l'agglomération. Mes auditeurs : des moniteurs d'écoles primaires qui
viennent de tous les coins de l'arrondissement d'Arris, des hameaux les plus
perdus dans la montagne. Au menu de ce premier cours : une explication de texte
sur un extrait de la Charte d'Alger (le programme du
FLN). Qui
aurait pensé en 1958 que le troufion français P.K. reviendrait quelques années
plus tard en Algérie expliquer aux jeunes de ce pays le programme du FLN? Que
tout change vite sur cette terre! Dialogue intéressant sur les problèmes
algériens, dialogue qu'il faut conduire avec tact et largeur d'esprit.
16.12. Perdre
les dernières traces d'infantilisme.
19.12. Il
faut constamment inventer et réinventer sa plus grande largeur d'âme.
20.12. Christ
comme « Wende » de l'âme humaine. Contient tout l'ancien et tout le
nouveau.
22. Premier
jour des vacances d'hiver 1966/1967. Vers 9 h du matin, je quitte Arris pour le
Sud., accompagné d'un camarade, le Lorrain Aubry.
Très beau
temps. L'Aurès est merveilleux sous ce soleil d'hiver un peu pâli. Petite halte
à Biskra où nous faisons provision de films. Traversée des monts du Zab. Le
ciel se couvre. Paysages étranges : terres nues, ravinées, immensités
nuageuses. Bou-Saâda : marché pittoresque. Puis des paysages de plaines
cultivées. Nous approchons de Djelfa : agglomération d'apparence riche, où la
griffe de la colonisation reste très visible. La ville est beaucoup plus grande
que je ne l'imaginais, beaucoup plus active : vrai centre de commerce. J'y
envoie une carte à ses ex-citoyens, les Joseph K. Encore un peu plus de cent
kms jusqu'à Laghouat, distance quasi en ligne droite et excellente route que
nous
parcourons
en un rien de temps, tout en savourant un féérique coucher de soleil aux
approches de l'oasis. Laghouat : notre premier souci est de rechercher un
hôtel. Nous nous installons dans un véritable palais des Mille et une nuits :
décoration arabe, jardin intérieur où en plein mois de décembre mûrissent
l'orange et le citron.
Kennst du das Land, wo die
Zitronen blühn,
Im
dunkeln Laub die Goldorangen glühn,
Ein
sanfter Wind vom blauen Himmel weht,
Die
Myrte still und hoch der Lorbeer steht...
Regardant le
jardin fleuri de mon hôtel du haut de ma chambre, je me redis les vers de
Goethe et y réponds : c'est à Laghouat qu'est le pays où fleurit l'oranger.
Hôtel très confortable dont le patron est Algérien et la patronne Suisse. On y
parle un curieux dialecte qui ressemble plus au dialecte de Guillaume Tell qu'à
celui d'Abd-El-Kader... Avant le repas : tranquilles moments de lecture dans le
salon de l'hôtel. Après le repas : promenade nocturne dans Laghouat, où je me
perds dans des quartiers qui donnent sur le désert (je suis sorti seul, mon
compagnon, un bleu, s'étant écroulé de fatigue après le repas). Vraie sensation
de vacances : je retrouve ce sentiment de liberté enivrante que j'ai connu
souvent durant mon congé de 64 à 66, à Paris, en Italie, à Pulversheim parmi les
livres. Ah!
pouvoir toujours vivre de la sorte. Je suis fait pour une telle vie, non pour
l'autre, l'ordinaire, petit travail, petite maison, petite famille, petite
voiture, petite retraite ; le monde est grand, il faut vivre à sa mesure.
Evidemment je m'exalte un peu : comment voulez-vous avoir des pensées
ordinaires à deux pas de l'énorme Sahara perdu dans la nuit? Je marche dans les
ruelles à présent désertes, enfoui dans ma djelaba, le capuchon relevé. Je
rentre. Journée bien remplie.
23.12.
Laghouat. Nous voici en vacances d’hiver et me voici à nouveau sur les routes
d’Algérie. Circuit prévu : Biskra- Bou-Saada – Djelfa- Laghouat (où me
rejoignent les Kl)- Ghardaïa- El Goléa- Ouargla- Hassi-Messaoud- Touggourt-
Arris.
On passera
les fêtes de Noël entre Alsaciens (+ un Lorrain, un jeune collègue d’Arris qui
m’accompagne).
26.12. Avons passé la veillée de Noël (avec messe de minuit) à
Laghouat.
Sommes arrivés le jour de Noël à El Goléa où se trouve le tombeau de
Charles de Foucauld.
28.12. "Il
doit y avoir chez l'écrivain comme une harmonie préétablie entre l'expression
verbale et le tout de l'oeuvre, une correspondance mystérieuse entre les
deux" (Léo Spitzer).
29.12. Je
trouve mon séjour ici de plus en plus exaltant. J'ai rarement autant vécu que
durant ces derniers mois.
30.12. "Le
goût de la concentration productive doit remplacer, chez un homme mûr, le goût
de la déperdition" (BAUDELAIRE).
"Une
grande âme est au-dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la
moquerie ; et elle serait invulnérable si elle ne souffrait par la
compassion" (La Bruyère, Caract.de l'homme, 81)
30.12. "Le
goût de la concentration productive doit remplacer, chez un homme mûr, le goût
de la déperdition" (Baudelaire).
"Une
grande âme est au-dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la
moquerie ; et elle serait invulnérable si elle ne souffrait pas la compassion"
(La Bruyère, Caract, de l'homme ,81).
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