22.4.14

HAUT JEU Livre de vie



CHANT DU NAÎTRE


ventre
chaud comme le pain
glaise tendre où couve la vie

abri de sang

marées de rêves roses

ténèbre tiède qui doucement remue

vase de viscères

demeure mouvante molle murmurante

fluide habitation

nuit de neige silencieuse

de muettes cosmogonies



 tiédeurs traversées de forces obscures

de rougeoiements

éclosions infimes

floraisons de formes frêles

de fleurs de matières délicates

chimie subtile

chant de chair

jubilation secrète

argile de joie glaise de miel

vagues lueurs d’aube

dans la forêt d’artères de glandes d’organes


surgissant des fouillis d'astres
des ténèbres minérales
de la joie calme des herbes
du fleuve des vivants
du profond rêve de vie de l'espèce humaine
surgissant de la chair
des entrailles de la femme
et du feu féroce de l'homme
surgissant de la vulve d'ombre
vers la lumière

infime vie

noyée dans la vie infinie

et cependant visage unique
incomparable incarnation
de l'éternel surgissement






tu entends le murmure sourd du sang


la rumeur de la mer


le bruit de soie des caresses


prodiguées par des mains aimantes


à la mouvante colline du ventre


parfois tu t’enlises


dans de longs sommeils liquides

nages paisibles parmi des poissons souples

d’immenses silences te portent

comme des eaux

d’immenses vagues de paix te bercent

et tu nages et tu voles

les voies lactées se croisent avec les ailes

lueurs d’aube

douces cataractes oranges et bleutées




 
Bonheur d’attendre
Bonheur de t’imaginer
D’imaginer ta vie fragile entre nous

Ton premier cri


Ton premier sourire


Tes regards étonnés


Tes gestes maladroits

Et nos émois
Nos peurs
Nos joies
Bonheur d’attendre
Jour après jour
Bonheur de rêver
A cette vie qui commence
Humble
Miraculeuse


fontaine où encore une fois
nous boirons l’enfance
par toi encore une fois nous apprendrons à voir
 fontaine seront tes regards de l’éternelle enfance
de la peur éternelle et de l’éternelle quête
la vie est devant toi comme un jardin d’énigmes
la vie est devant toi comme une maison fraîche
toute pleine d’espoir et de secrètes ombres
 


Pour fêter ta naissance
Je convie les mots les plus beaux
Je convie les ailes des papillons
Je convie la transparence des cristaux
Je convie le bleu tendre des horizons
Je convie la gloire des soleils
Je convie les secrètes merveilles
Des étangs et des bois
Je convie le chant de joie
Le chant de mélancolie des terrestres saisons
Je convie la splendeur des floraisons

Je convie la neige dansant dans le silence

Je convie toute la beauté du monde

Qui d'allégresse surabonde

Pour chanter ta naissance

Un enfant nait
et c'est l'humanité toute entière qui se renouvelle.
Ce sont des yeux qui verront plus resplendissantes
la lumière du monde, la neige et les étoiles.
Ce sont des narines qui humeront plus délicatement
les senteurs des fleurs, les arômes des fruits et la profonde odeur de la terre humaine.
Ce sont des oreilles sans cesse aux aguets
qui s'ouvriront avec plus d'acuité
aux bruits et aux rumeurs des champs et des villes,
et aux murmures bleus du silence.
Ce sont des lèvres qui goûteront avec plus de finesse
les breuvages et les nourritures terrestres.
C'est une bouche qui réinventera
le parler usé des humains et les éternels mots d'amour.
C'est un esprit curieux qui repensera
les choses d'ici-bas avec une fraîcheur matinale.
C'est un cœur qui battra plus intensément
pour la liberté, la vérité, la justice.
Ce sont des mains qui renouvelleront
les gestes du labeur et de la tendresse.
Ce sont des pieds qui arpenteront avec une neuve allégresse
la surface de la planète.
C'est un corps croissant
pour des chemins inédits parmi les hommes et les femmes.
C'est un visage unique
se levant face au soleil
et venant plein d'attente
à la rencontre de ses frères er sœurs en humanité.
C'est un désir d'être et d'aimer,
un feu fertile qui recommence la vie.
UNSPRACHE


ich kann nicht sprechen

alles dunkel

Sonnennacht

Nachtsonne

Nebel

ich bin das ewige Kind

Infans

ich zottere

wo das Leben ?

schon sterbe ich

schon versinke ich im Ozean des Nichts

ist am Ende  das Wort ?

ist am Ende Gott ?




CHANSON DU SIMPLE


Je ne suis ni savant ni roi.
Frères humains, je suis le simple.
Et pourtant c'est aussi pour moi
Qu'éclot la lumière tout humble.

Je ne pèse pas d'un grand poids,
Frères humains, dans vos affaires.
Et pourtant c'est aussi pour moi
Que le jour ouvre ses paupières.

J'ai du mal à suivre vos voies.
Frères humains, je suis l'obscur.
Et pourtant c'est aussi pour moi
Que le ciel se déploie si pur.

Au chapitre je n'ai pas voix.
Frères humais, je parle peu.
Et pourtant c'est aussi pour moi
Que l'azur brûle ivre de bleu.


REVEIL

Cris pourpres du coq à l'aurore.
Les enfants sommeillent encore.
Dans la pénombre bleue des chambres,
l'aube vient caresser leurs membres.


Et puis voici que la lumière
vient soudain noyer leurs paupières
lorsque la matinale soeur
ouvre les volets aux fraîcheurs
étincelantes du matin
montant des rues et des  jardins.


A TRAVERS LA CLOTURE ENVAHIE DE LISERONS


A travers la clôture

envahie de liserons,

j’épie la fraîche fille

qui arrose les salades

dans le jardin voisin.




BRAISE SECRETE
      

Dire. Il  faudrait pouvoir
dire. Cette chose indicible.
Dire cette chose la plus simple,
la plus prodigieuse.
Etre là. Ensemble.
Nous. Connivence heureuse.
Avec les saisons, les jours, les nuits.
Avec le ciel de miel ou de suie,
et la lumière.
Etre là. Avec les maisons, les arbres,
les montagnes bossues au loin.
Les oiseaux qui traversent aventureux
la vitre crépusculaire.
Avec les odeurs, les choses familières,
la table, l'assiette, le livre,
les portes entrebâillées sur le silence
apaisant des chambres.
Etre ensemble. Dans le calme
des soirées terrestres.
Visages se regardant,
dévisageant la vie,
les sourires, les mélancolies.
Là. Ensemble.
Dans l'incertitude du temps.
Dans le bref instant débordant
de lumière.
Dire. Pouvoir dire ce mystère
Infiniment simple : vivre.
Pouvoir dire parfois
ces mots qui délivrent
de la grise poussière des jours
et font aimer.
Il faudrait pouvoir dire
ce que pudique, malhabile,
l'on n'ose jamais dire.
La braise secrète de l'amour.



 
COMPLAINTE DES JOURS D'AMOUR DES NUITS D'ORAGE ET
AUTRES LAPS DE TEMPS
Il y a des jours, il y a des nuits,
tendres saisons et temps maudits.
Il y a de limpides aurores;
fraîches les vierges les amphores.
Il y a parfois des matins vastes
où les regards éclosent chastes.
Il y a de lentes journées pâles;
douceur des rêves et des châles.
Il y a de souverains midis;
on étreint nu le feu de vie.
Il y a des hauts moments de fièvre
quand l'aveu fou brûle les lèvres.
Il y a des soirs, langueurs de brume,
où les coeurs saignent d'amertume.
Il y a de lourds laps de colère
parmi les fadeurs ménagères.
Il y a des nuits, des nuits de rage
où les corps hurlent dans l'orage.
 Il y a des nuits rouges de crime;
l'amour y côtoie les abîmes.
Il y a des nuits sombres déserts,
chambres closes pour solitaires.
Il ya  des ères de détresse
dans les ruines de la Promesse.
Il y a des ans s'effilochant
dans la fugacité des vents.
Il y a des jours, il y a des nuits
saisons d'amour et temps d'oubli.







FEUILLES D'AUTOMNE

Les feuilles folles
du mol automne
valsent et volent
dans les matins qui sonnent.


Feuilles de pluie,
pluie de pommes.
On pleure, on sourit.
Vive les petits hommes
qui s'en vont à l'école!






SOIR D'HIVER


Dehors on voit de furtifs cortèges

passer dans la tourmente de neige.

Dedans la maison est chaude,

la vie certaine.

La mère dans l'ombre brode

et l'enfant de son haleine

couvre la vitre de buée.

Sans fin se traîne

douce, dense, la soirée.

DANS LA HUTTE AUX ASPHODELES
Dans la hutte aux asphodèles,
le ciel s'infiltre agile
comme une aile
entre deux tuiles,
rai de lumière
incendiant les poussières
jusqu'au sommeil
du vieux fol
recroquevillé sur le sol
près d'un chien en éveil.




LA MAISON QUI DERIVE

Dans la lumière mate
du jour d'automne,
l'enfant s'abandonne
aux imaginations.
Une mer de ouate
environne  la maison.
Des hautes nefs la traversent
comme dans un rêve,
très lentement,
embarcations énigmatiques
d'où émanent des musiques.
Et parfois des visages extasiés
apparaissent aux hublots,
regardant l'enfant en sarrau
avec des grands yeux d'éternité.
Et la maison aussi
se met à naviguer
jusqu'au bord du ciel,
accompagnée par le carrousel
des oiseaux familiers.
Elle dérive dans la brume bleutée,
elle danse, danse au-dessus des arbres,
au-dessus des clochers.
Et l'enfant dans la cuisine
caresse l'échine
du chat qui ronronne d'aise
en lapant le lait dans son bol.
Et la table, les chaises
doucement glissent sur le sol.
Et la maison, bercée par la houle de lumière,
gagne le large et là-bas, loin des pôles,
s'illumine de splendeur hauturière.



L'ENFANT DE CHŒUR QUI PISSE

C'est le matin.
Les lys
se dressent dans le jardin
du presbytère.
Un enfant de chœur pisse
au soleil, sa robe rouge relevée,
écartant les jambes.
L'urine savonneuse fait des bulles
s'en allant légères au gré de la brise
éclater contre les vitraux poussiéreux
de la vieille église.



PRES DES HLM LE SOIR

Le sirop de gimauve de vesprée
dégouline sur les façades couleur crème
des HLM
et sur les parkings où traînent
des pneus usagés.
Des gamins shootent dans des ballons crevés.
Au pas des portes,
des bonnes femmes en tablier colportent
les derniers ragots
du patelin
tandis que des marmots
braillent dans les landaus
gardés par des clebs aux yeux mi-clos.



SOIR DANS LA CUISINE

Odeur de concombre
dans la cuisine.
Le jour décline.
La maison s'emplit d'ombre.
Le père rentre de l'usine,
l'air sombre.
                                         


        

DAS BLAUE BORDELLHAUS

Dunkle Bäume schlafen
um das blaue Bordellhaus
am Rande der Stadt.
Alles ist unendlich einsam
in der Sonne der Misere.
Der Hunger brennt.
Und hinter der Mauern
schlummern die Frauen.


NULHUSA ou le chant de la négapole

On peut naître à Nulhouse,
autrement dit nulle part,
quelque part entre Alémanie, Welchie, Helvétie,
entre Vater Rhein et plantureuses croupes vosgiennes.
On peut naître, on peut vivre à Nulhouse,
Nilhüsa l'alsacienne, la suisse,
Nulhausen l'allemande,
Mielouze la française,
Bab el Malhouss la maghrébine...
On peut vivre, on peut rêver à Nulhouse
sous les soleils tournoyants des désirs.
On peut être seul à Nulhouse,
seul comme Rimbaud au Harar,
seul comme Kierkegaard à Copenhague,
seul comme Kafka à Prague.
On peut être seul, on peut rêver à Nulhouse
et se perdre entre  les ethnies, entre les patries,
entre les langues, entre les religions et les sectes,
entre les empires millénaires et les libres républiques.
On peut s'égarer à Nulhouse la plurielle,
dans l'assemblage hétéroclite des faux styles architecturaux,
faux clochers à bulbe et fausses flèches gothiques,
façades Renaissance et tours futuristes.
On peut se dissoudre dans la non-ville,
"la ville rapiécée",
la ville éclatée en lambeaux de prose,
en haillons de rage.
On peut inexister à Nulhouse la Négapole,
district dispersé de la Banlieue planétaire.
Et paradoxalement on peut se sentir bien à Nulhouse,
loin des arrogantes Babylones;
on peut respirer à l'aise à Nulhouse,
loin des hauts lieux du Pouvoir et de la Pensée,
loin des Parlements et des Académies.
En ce lieu nul
où le poids des prestigieux monuments n'écrase pas,
où l'éclat des glorieuses présences n'éblouit pas,
dans les rues désolées de la cité suprêmement ordinaire,
on peut parfois déambuler d'un pas léger, d'un pas dansant,
tout près de l'épicentre fluide du désastre

de la négapole mondiale.
On peut aller à Nulhouse, aller  vers nulle part,
passant passablement extasié,
livré aux jubilations de l'universelle banalité.





NARRAGONIA


S Elsàss esch a Nàrralànd,

S Lànd vum Hàns im Schnoggaloch, vu dr ewiga Unfreedaheit. Wàs mr han dàs wan mr net un wàs mr wan dàs han mr net. Wenn Sunna schient wan mr Raga, wenn s ragend wan mr Sunna. Wenn s Elsàss sech kàt vereiniga wan mr zwei bliewa, Ower- un Unter-Elsàss; wenn mr zwei sen wan mr a einziges Elsàsslànd.


S Elsàss esch a Niamàndslànd,

S Lànd wu sech d Iwohner emmer weder froga: wer sen mr denn? Frànzosa? Alemànna? Europäer? Mr sen net im Ennra. Wu sen mr denn? Emmer sen mr àm Rànd. Ràndmenscha  zwescha Ditschlànd un Frànkrich. Unsri eigena Sproch, unser Gedachtnis, unser Harz han mr schu làng vererrt.


S Elsàss esch a Putzfummellànd.

Mr faga, mr rüüma uf, mr wascha, mr putza. Alles müass süfer se. Ordnung, Ordnung esch s hàlwa Lawa, àwer oï dr hàlwa Tod. Mr lawa emmer mehr in ra betoniarte, àbgràsiarte Làndschàft, un oï emmer mehr in ra versoïta Nàtür.Soll dàs heissa dàs dr Ordnungswàhn oï a gwessa Todeswàhn esch?


S Elsàss esch a gross Disneylànd,

a wites Ecomusée,a Art Schlàràffalànd, Heimet vum Kugelupf, Sürkrüt, Riesling, vu da kentschliga Storcka un da Garta-Zwarga, vu da Wianachtsmarkta un da Labküacha-Hieser, vum scheena Schien un owerflachliga Spàss.


S Elsàss esch a Jàmmertal.

Mr jommra, mr handla ewer àlles un ewer nix, ewer d Walscha, ewer d Schwowa, ewer d Schwitzer, ewer d Aràwer un d Ziginer, ewer s kàlta Watter, ewer d Hetz, ewer s diera Lawa, d Regiarung, ewer àlles un nix. Els-Hàss-Lànd werd mankmol unsri Heimet met unsra schrecklicka anga Gedànka, met unserm Hàss vu da Andra, d Hargloffena, dia wu a betzi dunkel sen, a betzi drackig, a betzi stenka un mer sen ïo so süfer, so àstandig unter uns.


S Elsàss esch a Nàrrascheff.

Im Delirium vum moderna Haschta han mr unser Geischt verlora. Verlofa han mr uns in da Bànka, in da Supermarkta, in da Fàwereka, uf da Autobàhna. Mr sen àlli ufm Nàrrascheff vum Sebastian Brànt un fàhra noch Nàrragonia, d Unheimet vum totàla Wàhn wu d hohla Fàsenàchts-Màska met dem Tod tànza.


 Werd àlles anda met ra fàwelhàfta Wàlpurgisnàcht um Fassena, met m a grossàrtiges Fierwark ewer d gànza Ewena zwescha Vogesa un Schwàrzwàld? Werd àlles àm And zum Teïfel geh? Kàt s Nàrrascheff noch umkehra?




NARRAGONIEN


Kennst du das Land wo der Wahnsinn blüht?

das Wunderland des Unsinns wo drei und fünf elf machen, wo die Bäume im Winter in voller Blüte stehen, wo die Tiere sprechen und die Menschen bellen, wo die Steine heulen und die Blumen singen, das Land Utopia wo die Bettler  Könige sind und die Könige  Bettler, wo die Toren Weisen sind und die Weisen  Toren.   


Kennst du das Land wo das Masslose blüht?

wo die Menschen sich in der Habgier verloren haben und nur noch unersättliche Götzen anbeten, Goldfieber, Wohlstand, Spass; das Land wo die lebendige Herz- Sprache schon längst verstummt ist und nur noch Schein und oberflächliche Ordnung ohne Geist regieren .


Kennst du das Land wo die Eitelkeit blüht?

wo die listigen Prominenten ihren Spektakel spielen, die Herrn Presidenten, Intendanten, Professoren, Generäle, Prelaten, Politiker.Sie schwingen leere Reden, unendliches Geschwätz, gestikulieren, schneiden wichtige Fratzen, doch sind sie nur Clowns, Ubu Könige von unserer Apokalypse.


Kennst du das Land wo die Gewalt blüht?

wo in den verödeten Vorstädte die Autos nachts in Flammen stehen, wo die verwahrloste Jugend, die Generationen ohne Arbeit und ohne Hoffnung, die Feste der Zerstörung feiern.


Kennst du das Land wo die grosse gespenstische Angst blüht?

Unterm unerschütterrlichen Sternentanz, jetzt, in unseren wirren Zeiten des Zweifels und der Krisen wo alles aus den Fugen geht, in unseren verwüsteten Glaubenswelten, erleben wir die Angst des Verfalls, des Untergangs im Chaos, die Angst der finstren Zukunft ohne Gott. Graue Blumen des Übels, schwarze Sonne der Melancholie erscheinen den Verzweifelten.


Kennst du dieses verrückte Land?

Narragonien heisst es, die Gegend  zwischen falschen Märchen-Burgen und vergiftetem Fluss der Walküren, da wo der uralte Paradies-Garten allmählich in klimatisierte Hölle verwandelt wird.

Narragonien heisst es, das verrückte Land, und umschlingt jetzt die ganze Welt zwischen Himmel und Hölle.


Auf dem Narrenschiff Sebastian Brants sind wir unvermeidlich eingeschifft und segeln ins Unbekannte voll Fragen und Schrecken. Wird ein Stern am Himmel uns Zeichen machen?





NARRAGONIE


J’habite un pays de folie,
une planète qui a perdu le nord, où  au cœur du vide vibrant de signaux et de chiffres des foules hébétées, houle hagarde, tournent en rond comme des captifs pour à la fin se précipiter aveuglément dans le gouffre du néant.   


J’habite un pays de nostalgie

où la magie des enfances légendaires, des liturgies naïves, s’est évanouie dans les cités-clapiers, sur les friches industrielles, les bretelles d’autoroutes. 


J’habite un no-man’s-land,

confins d’absence, de mutisme, immense continent incontinent de l’ubiquitaire banlieue, lieu nul, désolé, jubilant de l’extrême banalité, tout près de l’épicentre omniprésent du Désastre mondial.


 J’habite un pays d’incandescence,

une géhenne de fulguration, de béton, de métaux, d’enseignes lumineuses, de vacarme de machines, de cathédrales d’acier bourrées de marchandises ; un royaume de détresse, une terre de transe où des génies adolescents jettent extatiques leur cri désespéré aux micros des orgies rock’roll et puis meurent dans la fleur de l’âge.



J’habite un pays de violence

où des hordes barbares ravagent des banlieues incendiées, anges motocyclistes en blousons noirs surgis de la nuit pourpre renversant sur leur passage les statues des dieux, massacrant clodos et putes sur les parkings déserts, les terrains vagues, tornades de fureur se perdant dans l’aube blême.



J’habite un pays de malédiction et d’absurdité

où comme des éclairs noirs ne cessent de frapper la misère, le malheur, la mort insensés, et des atrocités sans nom, meurtres de masse, génocides, démoniaques grimaces de l’immonde.


 

J’habite un pays de vertige

où les Normaux sont les Fous, piètre engeance parquée dans ses routines peureuses et sa vile médiocrité, et où les Fous sont les aventuriers de la vraie vie,  hallucinés sacrés,  voyants prophétiques. 


J’habite un pays d’inextinguible infini désir.
Pressentiment d’un soleil inouï par-delà les errances sempiternelles de raison et folie.

J’habite un pays de sainte déraison : son nom est Poésie.

MANIFESTE DU POETE




je me lève
et je déclare
aux assis
aux assoupis
aux endormis
aux ectoplasmes
oui je déclare
clairement
distinctement
hautement
que je suis poète
les mots brûlent dans mes entrailles
les mots saignent en moi
les mots m'enivrent
comme de l'alcool
et je déclare aux fleurs
je vais glorifier votre humble merveille
et je déclare aux oiseaux
je vais rivaliser avec votre mélodieuse légèreté
et je déclare aux étoiles
je vais poursuivre la voie lactée
en galaxies de rêve
et je déclare aux pitoyables humains
sourds à la poésie
fermés au chant profond des vivants
je vais ouvrir vos oreilles
je vais sensibiliser vos cœurs et vos tripes
au Verbe vertigineux 
du visible et de l'invisible
du tragique et de la joie
de la vie et de la mort 






DANS LES PARKINGS SOUTERRAINS

Sale
le sexe dans les parkings souterrains
où de petites salopes aux lèvres fardées
sucent les bites turgescentes
des jeunes voyous tandis que
dans les oreilles rugissent les walkmans.
Une voiture passe éclairant
un gaillard à blouson de cuir clouté
qui sodomise une adolescente noire
affalée sur un capot.
Une voiture s'arrête.
Le garçon se tourne vers les phares
qui l'éblouissent.
Il brandit son sexe et
arc-bouté se branle,
bramant comme un fauve.
Des gars masqués descendent du véhicule,
s'approchent lentement du hurleur forcené
et l'abattent.


DANS LA CAVE AU CRAPAUD

le garçon lèche la succulente colline  de lait
entre  les cuisses de miel
des filles qui lèvent haut leur robe bleu-ciel
dans la cave au gros crapaud laid
et puis les filles accroupies pissent
sur la bête que le garçon met au supplice
avec un noir dur bâtonnet


AU-DESSUS DES AUTOROUTES

au-dessus des autoroutes
du flot fumant des véhicules
du chaos des constructions
des parkings des supermarchés
des usines des gares
au-dessus des lampadaires
des grues des échafaudages
des derricks des chevalements des tours
dans l'immensité bleu-rose
de l'aube
le pur croissant de lune


GRANDS TRAVAUX


sur les continents

entre les océans gris de chevelures SARGASSES
les vastes chantiers chuintent au soleil
NATIONAL AERONAUTICS AND SPACE ADMINISTRATION
tendre bruissement se déployant en diaprures duveteuses
venant se mêler au chant de salive des flots

                                                       
et sur les péninsules
vrombrissent les camions dans l'aube de fraise
frangée de palmes
les trains trouent la rêverie ronde des troupeaux
traversent les gares
le poitrail frémissant de longs lambeaux de bave
s'arrêtent au flanc des usines dévoreuses de métaux

 

des molécules de rêve s'évadent parfois en bulles brèves
des hangars assourdissants
des bureaux abrutissants
PARADISE NOW vers les plages les bars les juke-box les drugstores
les cinémas les blondeurs les rondeurs
le nirvâna des week-ends ocellé de lubricités suaves
les pylônes nagent dans le soleil
les radars rient aux éclats dans le ciel turquoise
tourbillonnant de tourterelles
les piles électriques flottent sur des fleuves de parfums
les labyrinthes conduisent à des sous-sols verdâtres

aux odeurs d'orange et d'encens 
                                                                               

                                                                                                                

                                                                                                                                                                                                
JUSQU'A CE QUE LA NUIT SE DECHIRE

Les demeures d'ombre
se dressent nues
dans les lointains automnes.
La pluie ruisselle drue
sur les carreaux noirs
où grimacent les visages de la peur,
spectres qui se lèvent
des lits  d'amour et de mort
et qui dansent masqués
autour des tables chargées
de chairs sanglantes
et qui hurlent la folie
sur les terrasses
jusqu'à ce que la nuit
se déchire de pitié


ROUGE SOMBRE

dans la cuisine sombre
elle écarte ses cuisses
la viande saigne soleil
disparaîssant derrière les collines
où les morts se lèvent avec la nuit
nue elle les regarde
descendre vers la maison
l'enfant mange dans l'obscurité


 AUX RUMEURS DES GUERRES LOINTAINES

Le poulailler s’endort

aux rumeurs des guerres lointaines.

Tu t’es assoupie dans la cuisine.

Demain nous nous lèverons tôt.

Nous accrocherons nos tristesses

Au clou rouillé de la porte.

Nous prendrons pelles et pioches

pour enfouir ce peu de peur

là où pourrissent les dernières tomates.

Et les portes, les planchers, les os,

tout fera silence.

Longtemps les plantes pourriront.

La table et le lit se couvriront de neige.

Des larmes tomberont sans arrêt dans la cendre

et des explosions de gloire parfois

éblouiront nos yeux entre les vastes sommeils

dans la tiédeur terne de la cuisine.

Et puis un matin on nous cherchera

comme si nous étions morts.

Il neigera encore sur les jardins et les basses-cours,

mais l’air sera d’une clémence printanière

et les rumeurs s’éloigneront

comme une mer bourdonnante
laissant à nu nos blessures
grandes lèvres béantes de verdure
parmi les vergers noirs.
le visage barbouillé de sang




ATTENTE DE LA NUIT

Long jour de l'homme entre les arbres et les pierres.
La paisible  respiration et les lentes paupières du vieillard
attendent la venue de l'ombre près de la porte entrouverte.
Un enfant fort comme l'éternité
dans le fragile abri de son corps
avance sur le chemin.
Lointain matin oublié derrière la forêt des ans,
lointaine chaleur remémorée sous les cendres du temps.
Le regard du vieillard suit
le jeune promeneur que la lumière dissout
là-bas près des buissons.



TERRIBLE MONOTONIE TERRESTRE


grisailles routines
terrible monotonie terrestre
vagues jours de l’homme
travailler manger dormir travailler
parfois une lueur un éclair de beauté
grisailles lourdeurs doutes déchirures
morts absurdes
terrible machine de l’univers
qui broie les vivants précaires
 



NUIT D’ANGOISSE


Nuit d’angoisse

dans les caves blanches de l’insomnie.

On entend des aboiements, des râles, des cris,

et au loin dans l’opacité pluvieuse

des trains scandant leurs courses haletantes.

Tu regardes tes mains tremblantes,

tu te tâtes le pouls.

Et la mort se terre dans les recoins poussiéreux

comme une sale goule

prête à bondir au milieu de la pièce

pour t’égorger au bas de ton lit.

       nuit d'angoisse
dans les caves
              blanches
                                de l'insomnie
on entend des aboiements
                                         des râles
                                                des cris
        et au loin dans l'opacité
                                              p
                                                 l
                                                   u
                                                     vieuse
des trains scandant
                                       leurs courses
                                                                 ha                                                
         le      
              tantes
                        ET LA MORT SE TERRE
DANS LES COINS POUSSIEREUX
                                         COMME UNE SALE GOULE

 

 

                           PRÊTE
           A   BONDIR     POUR              

                                                  T’ÉGORGER

L'ASTRE NOIR

Dehors luit
l'astre noir
derrière les branches jaunes.
Lente est la nuit
où de désespoir
s'étouffe le cri
de l'enfant aphone
regardant assis sur son lit
la face terrible qui sourit.



LUGUBRE


Lugubre

hulule

sous la lune

l’oiseau nocturne.

Au matin gris

Des clous

crucifient

le hibou

sur la porte

de la grange

et dans son lit

la fille morte

dort d’un sommeil étrange.


L’APPEL SAUVAGE

Tu ouvres la porte

et je te vois saigner

comme de la viande

devant la table noire.

Tu ouvres la robe

et tu jettes un appel sauvage.

Tu ouvres ton corps de fange

et je hume

l’odeur de la mort.



CRIME DANS UNE CHAPELLE ABANDONNEE

Dans une chapelle abandonnée
un vacher flagelle
une jeune bergère dénudée,
puis se masturbe sur elle.
Le sperme glisse

sur le dos lisse
de l'adolescente sanglotant
tandis que la lumière du couchant
illumine la tête du Crucifié.
Le rustre étrangle la bergère
et s'en va se saouler
au hameau laissant le corps nu
inerte perdu
dans la poussière et l'obscurité.



SABBAT

Langue
langue rêche
lèche
la crème noire
le chocolat mental du désespoir
lèche
lèche longuement
l'ordure diabolique
la merde de Dieu
lèche le cul rugueux
de la démone hystérique
lèche sa  fangeuse faille
et le fruit puant
de ses entrailles
lentement
lèche l'étron
de charbon
de Monseigneur Satan


SAISON DE DEUIL

Cœurs

en pleurs

aux heures

de langueur.

Saule qui s’effeuille

dans le jardin en deuil.

Profonde et douce est la tristesse

du cœur que tout délaisse

près de l’obscur seuil.

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