20.4.14

HAUT JEU Livre de légende

CHANT DES GUERRES


Rois rauques hélant les aigles sur les rochers.
Rouge la guerre dans la plaine.
Cités éventrées brûlant dans le soir.
Les armées s'assoupissent derrière les brouillards.


Parfois un oiseau traverse le ciel silencieux et se perd dans les immensités obscures au-delà des forêts.



SALUEZ  LES  ROIS


Saluez les rois
qui avancent parmi les feux,
grands insectes noirs
que la soif et la guerre mènent aux confins de l'Empire.
Saluez les subtils animaux vêtus de lumière
qui délaissent les tombeaux,
arrosant de sang l'argile,
renversant les arcs,
comblant les douves.
Les chemins de l'énigme s'ouvrent la nuit sous leurs pas.
Les fumées se balancent
au-dessus des chevelures rouges
tandis que dansent les vierges peintes de vert.
Les herbes  montent à l'assaut des lits
et les rivières naissent au milieu des ventres ouverts,
grands flots d'oiseaux sombres et de reptiles.
A l'horizon se taisent les nuages.
Solitude désolée du vieillard assis sur un banc
devant la fenêtre de la maison déserte:
rien ne subsiste des étés, rien des visages aimés que cendre.
Et la cavalerie barbare  gagne les bois
où la nuit broute les fraises,
frangeant de rêves la rage des soldats.
Les rois passent sur leurs nuées d'or
voguant  vers l'Asie.
Les décombres s'accumulent parmi les neiges,
les branches brisées,
le royaume grouillant des fourmis que l'ouragan soulève
et plaque  contre le firmament.





INVASIONS

Les rois avancent parmi les feux, hauts insectes noirs,
subtils animaux vêtus de sang; les fumées se balancent
au-dessus de leurs chevelures rouges tandis que dansent
les guerriers peints de vert.
Les flores de carnage montent à l'assaut des lits
et des rivières  hallucinées jaillissent des ventres ouverts,
amples flots d'oiseaux sombres et de reptiles.
Les décombres s'accumulent sous la neige. Fourmis
monstrueuses que le vent soulève et plaque contre
le  ventre des femmes et le firmament.


GLOIRE DES REINES D'AORASIE


Gloire des reines d'Aorasie
tempêtes de lumière sur les têtes couronnées
et nuit sur les sexes nuit profonde sur les ventres
de royale  chair gloire aux cuisses fortes
des filles d'Aorasie et ténèbres sur les entrailles
ardentes ténèbres sur la faim obscène des reines
de délire elles avancent nues sur les terrasses
s'offrant à la morsure féroce du soleil





NUIT DES CRUCIFIES

Les psaumes de neige exultent dans la nudité
des nuits  d'Eustrie contrées de foudre  hosannah!

Les rois crucifiés prophétisent
étendant leurs feuillages de feu jusqu'aux Mongolies.

Au lieu dit du crâne de tendres brises frôlent les crucifiés
et dispersent les neumes au-dessus des pâtures de Judée.

Couronnée des tempêtes de glycines la vulve d'abîme
jubile d'astres par-delà les portiques d'Aorasie.

La graisse des nébuleuses sperme des dieux remue
imperceptiblement dans la grande vulve ointe de miel.





PEREGRINATIONS DANS LE DECLIN DES EMPIRES


Les chevaux de la mer traversent étincelants

la douloureuse nébuleuse des obsessions.

O pérégrinations dans le déclin des empires.

Prostrations à l’extrémité des continents et des âges.

De grandes convoitises de lumière attirent

les bêtes près des golfes aux cyprès de flammes.

Mais nous, exténués, éteignons nos astres

Dans le halètement lugubre des luxures.



BOURDONNANTE D'ABEILLES BELLE COMME LA MORT


Il y a la mer.
Il y a la mort aux seins nus.
Et la lumière qui chaque jour est vierge.
Les châteaux ont la paresse des éternités et la fraîcheur ombreuse des chants.
Dedans se promène nue celle qui naquit près de vagues.
Insaisissable fille aux diamants d'angoisse, bourdonnante d'abeilles,
belle comme la mort aux jardins de glaïeuls.
Les dieux boivent ses regards.
Les morts la caressent sous les branches.
Tu es la reine des mers et des îles.
Tu es celle qui monte des roseraies
vers les cimes sauvages où niche l'aigle,
celle qui plonge dans l'ode des constellations,
celle que les guerres traversent et qui, indemne,
resplendit au sommet des falaises,
poussière glorieuse où nagent les goélands...





PSAUME 89


Voici le psaume montant des entrailles du temps,
le psaume des peuples en marche
et des éclatements.
Rouges noirs les jours de rage,
les jours de gloire,
et bleus l'été la liberté,
bleus les yeux de la liberté,
l'azur ivre au-dessus des champs de blé
et la mer la mer
immensément lumière.
Blanche l'éternité,
la neige paisible sur les hameaux de France.
Blanche l'attente séculaire,
l'éternelle éternellement muette attente dans les chaumières
du grand jour de délivrance.
Bleus le rêve l'utopie le ciel sur la terre,
bleu le paradis îles ô îles d'innocence par-delà la mer,
pays de cocagne ou Atlantide.
Voici le psaume des profondeurs,
le chant de l'indestructible Espérance.
Rouges noirs soudain et bleus et blancs
les jours de France.
Clameur rauque démoniaque
remplissant le ciel, millions d'ailes
se trempant dans les flaques
du nouveau matin
et s'envolant parmi les danses
et les rires cristallins.
Voici le sombre chant le cantique irradiant
de la sainte véhémence.






BLANCHE NOIRE L'HORREUR

blancs les éclairs
noir l'orage tourbillonnant
autour des demeures féodales
les éclairs frappent
les bêtes trempées qui s'échappent
écroulement des hauts portails d'ombre
les pierres mordues par le feu du ciel
crient
tandis que les manants en furie
violent les servantes
dans les cuisines les écuries
blêmes bleus les éclairs brûlant la neige
de chairs suppliciées
laiteuses les flaques de sperme moiré
et rouge sombre les flaques de sang
blanche noire l'horreur
dans le luxe des vastes salles
on crucifie le seigneur
on lui crève les yeux
noires pourpres les clameurs
que répercute le dédale des souterrains





ELSASSISCHER GOLGOTHA


Jetz erhebt sech dr Barg met sim hocha Kritz ewer d Ewena.

Jetz esch Stella, unandligi Stella ewerem Barg.

A Stella wia na verstummter Schreï vu doïsiga Geopferta, a dunkelroter, schwàrzer Schreï wu üsm Blüatbarg brialt, üsm dunkla Harz vu dr Arda.

Jetz steht dr Barg in freedliger Rüahï, dr Barg met dr verwundeta Nàtür, dr Barg vum vruckta Morda, vum Schrecka, vum Hunger, vum Durscht, dr Barg vum Schmarz un vum Tod.

Ja, do owa han se sech gschlàchta wia welda Tiarer in da Schetzagrawa, in da Lecher, im Drack, in dorniger Weldnis un Stàcheldroht.

 Zwescha Nàcht un Nawel, im Raga, im Schnee, under isiga Sterna un brennenda Hemmel,

 han si gekampft, wia dunkla Horror- Gschpanschter, bis ins Absürda, d gehelmta, gestefelta Kriager, met Flenda, Grànàta, Bajonetta, Masser.

 In da Unterstand han se sech verkrocha underm heftiga Trummel-Fier vu da Kànona.  

Do owa verlora in dr Hell han si gwàrta  uf Erlesung vum unmenschliga Ewel.

Si han gwàrta uf Freeda oder unsennigi Verdàmmnis.

Gwàrta han si un verzwiefelt.

Do owa ufm buckliga Gepfel esch si gekritzigt wora, d Jugend üs  Frànkrich un Ditschlànd.

Do owa ufm riesiga Totakopf üs Felsa un Wurzla  esch si verblüata, d flàmmenda Jugend üs Europa.

Do owa  esch si umgebrocht wora, d geopferta Generàtion ; do owa esch si verschwunda in Schlàmm un Fülnis, in  Gottes Nàcht, ohna Gebat, ohna Psàlm, ohna Gnàda.

Jetz steht dr Barg met sim machtiga Kritz wu Chreschtüs fahlt.

Ufm elsassischa Golgotha, in dr versprangta Fenschternis, in dr verressena Stella,

Esch Gottesdämmerung, esch Walt-Untergàng gse.

Ufm elsassischa Golgotha, under  Stàhlgwetter, underm grüseliga blüatiga Hemmel,

esch Gott gstorwa.



ELSÄSSISCHER GOLGOTHA


Jetzt erhebt sich der Berg mit seinem hochen Kreuz über der Ebene.

Jetzt ist Stille, unendlige Stille über dem Berg.

Eine Stille wie ein verstummter Schrei  von tausenden Geopferte, ein purpurner, schwarzer Schrei der aus dem Blutberg, aus dem dunklen Herz der Erde  brüllt.

Jetzt steht der Berg in friedlicher Ruhe, der Berg mit der verwundenen Natur, der Berg des verückten Mordens, des Schreckens, des Hungers, des Dursts, der Berg vom Schmerz und vom Tod.

Ja, da oben haben sie sich geschlachtet wie wilde Tiere in den Schützengraben, in den Löcher, im Dreck, in dorniger Wildnis und Stacheldroht.

Zwischen Nacht und Nebel, im Regen, im Schnee, unter eisigen Gestirne und brennenden Firmamente, haben sie gekämpft wie dunklen Horror-Gespenster, bis ins Absurden, die gehelmte, gestifelte Krieger, mit Flinten, Granaten, Bajonetten, Messer.

In den Unterstände haben sie sich verkrochen unterm heftigen Trommelfeuer der Kanonen.

Dort oben verloren in der Hölle haben sie gewartet auf Erlösung vom unmenschlichen Übel. Sie haben gewartet auf Frieden oder unsinnige Verdammnis.

Gewartet haben sie und verzweifelt.

Dort oben auf dem buckligen Gipfel ist sie gekreuzigt worden die Jugend aus Frankreich und Deutschland.

Dort oben auf dem riesigen Totenkopf aus Felsen und Wurzeln ist sie verblutet, die flammende Jugend Europas. Dort ist sie umgebracht worden, die Generation des ungeheuren Opfers ; dort ist sie verschwunden in Schlamm und Fäulnis, in Gottes Nacht, ohne Gebet, ohne Psalm, ohne Gnade.

Jetzt steht der Berg mit seinem mächtigen Kreuz wo Christus fehlt.

Auf dem elsässischen Golgotha, in der versprengten Finsternis, in der verrissenen  Stille, ist Gottesdämmerung,ist Weltuntergang gewesen.

Auf dem elsässischen Golgotha, unter Stahlgewitter, unter grauenvollem blutigem Himmel,
ist Gott gestorben.



GOLGOTHA ALSACIEN


Maintenant la montagne se dresse au-dessus de la plaine avec sa croix altière.

Maintenant le silence, l’infini silence règne au-dessus de la montagne.

Un silence comme la clameur muette de milliers de victimes, une clameur rouge, noire qui hurle hors de la montagne de sang, hors des entrailles  sombres de la terre.

Maintenant la montagne se tient dans un calme paisible, la montagne meurtrie,

la montagne de la folle tuerie, de la terreur, de la faim, de la soif, la montagne de la souffrance et de la mort.

Oui là-haut ils se sont massacrés comme des bêtes féroces dans les tranchées, dans les trous, la fange, les ronces, les barbelés.                                   

Entre nuit et brouillard, dans la pluie, dans la neige, sous les constellations glaciales, sous les cieux brûlants, ils se sont battus jusqu’à l’absurde, comme de sombres spectres d’horreur, les guerriers casqués, bottés, avec fusils, grenades, baïonnettes, couteaux.

Ils se sont terrés dans les souterrains sous le feu roulant des canons. 

Perdus là-haut en enfer ils attendaient d’être délivrés du Mal inhumain.

Ils attendaient la paix ou la damnation insensée.

Ils ont attendu et ils ont perdu l’espoir.

Là-haut sur le sommet bossu, elle a été crucifiée, la jeunesse de France et d’Allemagne.

Là-haut sur le crâne gigantesque de rocs et de racines, elle a versé son sang, la flamboyante jeunesse d’Europe.

Là-haut elle a été systématiquement décimée, la génération livrée à l’effroyable sacrifice; là-haut elle a péri dans la bourbe et la pourriture, dans la nuit de Dieu, sans prière, sans psaume, sans grâce.  

Maintenant la montagne s’élève avec son immense croix sans Christ.

Sur le Golgotha alsacien, dans les ténèbres fracassées, dans le silence lacéré, est advenu le crépuscule de Dieu, l’apocalypse du monde.

Sur le Golgotha alsacien, parmi les orages d’acier, sous les effroyables cieux de sang, Dieu est mort.                                                                                                                                                                   





REQUIEM EUROPEEN


Ils s’étendent à travers toute l’Europe, les cimetières militaires, champs infinis de tombes des multitudes de soldats morts dans la géhenne guerrière, champs de paix après les sanglants champs de bataille, paix de Dieu ou paix de l’oubli de la folie humaine en attendant la prochaine chute calamiteuse au fond de l’horreur démentielle. 


Ils dorment, les guerriers de jadis, les combattants des Guerres mondiales, de la Guerre de trente ans, de la Guerre de cent ans.


Ils dorment profondément, les Français, les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Russes, les Américains, les Africains, soldats oubliés, soldats inconnus de toutes les guerres.


Ils dorment d’un lourd sommeil dans la terre d’Europe, les millions de jeunes hommes sacrifiés, la jeunesse  massacrée de partout.


REQUIEM AETERNAM DONA EIS, DOMINE.


Seigneur, donne-leur le repos éternel.


Maintenant les peuples en ont assez avec les hurlements barbares, avec les sempiternelles tueries sans merci, avec les amas de ruines désolées et les amoncellements de cadavres de l’Histoire mondiale, Hystérie planétaire insensée, Loi de meurtre.


Ils en ont assez, les peuples, avec les jours de rage et les jours d’abîme.


DIES IRAE, DIES ILLA.


Des enfants jonchent les fosses communes de pétales de roses blanches.


Des adolescents de plusieurs nations chantent des chorals et puis s’enlacent pacifiquement.


Une voix s’élève dans le silence: « Europe, Europe, n’oublie jamais ton immense folie millénaire, tes péchés monstrueux, n’oublie jamais les millions de morts absurdes, les destructions catastrophiques. N’oublie jamais ces temps de terreur, de douleur, de massacre, ces jours d’apocalypse. »


Non, plus jamais la guerre, plus jamais la guerre ! s’exclament les enfants de toutes les nations d’Europe, plus jamais l’enfer sur terre !


Des armées de morts sortent des tombes la nuit et émettent des clameurs muettes à travers le vaste abattoir Europe, de l’Atlantique jusqu’à l’Oural, continent du Désastre, tragique patrie commune.


Les spectres des morts font entendre longuement de lugubres gémissements sous la lune livide.


REQUIESCANT IN PACE !


Seigneur, laisse les reposer en paix !





EUROPÄISCHES REQUIEM


Sie strecken sich aus, die Soldatenfriedhöfe, über ganz Europa,


unendliche Felder mit den Gräber der unzähligen Gefallenen,


 Friedenfelder nach den blutigen Schlachtfelder,


Frieden Gottes oder Frieden des Vergessens


 des menschlichen Wahnsinns bis zum nächsten Sündenfall.


Sie schlafen, die Krieger von damals, die Helden


der Weltkriege, des dreissigjährigen Kriegs, des hundertjährigen Kriegs.


 Sie schlafen tief, die Deutschen, die Franzosen, die Engländer,


die Italiener, die Russen, die Amerikaner, die Afrikaner, die vergessene Soldaten aller Kriege.


In der Erde Europas schlafen sie, die Millionen von geopferten jungen Menschen,


die geschlachtete Jugend von überall.


REQIEM AETERNAM DONA EIS, DOMINE ! HERR, GIB IHNEN DIE EWIGE RUHE !


Satt haben jetzt die Völker mit dem Brüllen der Barbaren,


mit dem ewigen heillosen Morden,


mit den seelenlosen Trümmerhaufen und Leichenhaufen der Weltgeschichte.


 Satt haben die Völker mit den Tagen des Zorns, mit den Tagen des Wehens.


 DIES IRAE, DIES ILLA.


Kinder streuen weisse Rosen über die Massengräber.

Jungen singen Choräle und umarmen sich.

Eine Stimme spricht aus der Stille : Europa, Europa, vergiss nie

deinen alten tausenjährigen Wahnsinn, deine ungeheuren Sünden,

vergiss nie die Millionen von niedergemetzelten Menschen, die sinnlosen Zerstörungen.

Vergiss nie : es war Schrecken, Schmerz, Sterben ; es war Apokalypse.

Nein, nie wieder Krieg, nie wieder Krieg ! rufen die Kinder aller Nationen Europas,

nie wieder teuflischer Wahn, höllischer Horror, nie wieder die Hölle auf Erden!

Armeen von Toten stossen stumme Schreien aus über den endlosen Schlachthof Europa

 vom Atlantik bis zum Ural, Kontinent des Übels, gemeinsames Vaterland.

Die Gespenster der Toten stöhnen und heulen in der Finsternis underm bleichen Mond. 

REQUIESCANT IN PACE !
O HERR, LASSE SIE RUHEN IN FRIEDEN !






SCHEINEST DU AUCH TOTEN DU GOLDNES

Des blindés passent avec fracas dans les rues.
Des gravats tombent sur les épaules des amants
s'enlaçant dans une maison en ruines. Leurs
mains se tressent. Leurs lèvres se touchent.

Une voix vocifère: AUF MACHEN!

Ils avancent, ils chantent avançant entre deux
haies de soldats brandissant des mitraillettes. Ils
s'agenouillent sur le parvis de la cathédrale.  Les
chars les entourent, les canons tonnent, les
cloches hurlent.

Un oiseau picore des miettes près d'eux. Leurs
doigts se nouent, leurs lèvres se frôlent.
LICHT DER LIEBE! SCHEINEST DU DENN AUCH
TOTEN, DU GOLDNES?
La ville brûle. Les façades  s'effondrent et,
béante, la cathédrale hurle de toutes ses orgues,
de tous ses choeurs.
Leurs lèvres se joignent tandis qu'à coups de
crosses, qu'à coups de bottes
SCHEINEST DU AUCH TOTEN DU GOLDNES?


 

 ETE 69. LE SAUT.



et voici que
l'homme
l'avorton
le ver de terre
le vivant maladroit
hésitant
voici que
l'homme
la bête nue
la bête d'angoisse
voici que
l'homme quitte
sa caverne
préhistorique
la Terre
et fait
le
bond
vers
les étoiles





ETE 69. LA TERRE AU LOIN


au loin la Terre
la Terre tendre comme un sein
la Terre comme un fruit bien rond
la Terre aux grandes joues bleues
la Terre perdue dans le mutisme
des espaces infinis
au  loin la Terre
avec ses rumeurs de guerre
ses schismes
ses espèces voraces
la Terre avec ses arbres
les rues des petites bourgades endormies
avec ses enfants allant à l'école le matin
ses chats
ses assassins
la Terre au  loin là-bas
qui n'en revient pas d'être la Terre
et qui hurle
et qui rêve sous ses écharpes de nuages 


                    ODE A JAMES BYRON DEAN
                   à l'occasion du 40° anniversaire de sa mort


Route de Salinas,
Etat de Californie,
USA.
30 septembre 1955.
Un choc effroyable,
puis silence, plus rien ne bouge:
la mort, Jimmy, vient de te foudroyer
au volant de ta Porsche couleur argent.
Terrible silence du vaste soir rouge.
Et depuis pour l'éternité,
James Byron Dean aux cent masques,
tu es le visage du jeune dieu fantasque,
intraitable, splendide d'énigmatique beauté,
de sombre et sauvage insolence,
et pur comme l'éclair d'une lame de couteau.
Et depuis, James Byron Dean,
tu es définitivement
la figure-culte
du beau ténébreux en bleu-jeans
qui irradie les successives vagues de teenagers
montant à l'assaut de la vie.
Tu es pour toujours, Jimmy,
le jeune homme du siècle,
passionné et douloureux,
dérivant entre nostalgie de l'enfance
et soif de la vie intense,
entre quête d'amour et révolte.
Tu as rejoint Novalis,

Keats, Rimbaud, Lautréamont
au ciel des génies météoriques
où d'autres vous suivront,
étoiles filantes du rock'n roll.
Eternel adolescent, tu incarnes à jamais
la fureur de vivre

affrontant la désespérance
du temps blême d'absence,
du temps sans Dieu.
Tu es le frère à jamais
des enfants rebelles
perdus dans le monde désertique
et qui se jettent rageusement
contre les barbelés de l'empire adulte,
du saint empire de la grisaille moderne.
 Enfants rebelles
with a cause
car ce monde, frères humains,
ce monde où nous nous complaisons,
larves minables,
ce monde est purement et simplement invivable,
irrespirable son air,
inacceptable son ordre de fer,
pour les chercheurs tourmentés
de l'impossible tendresse,
pays de neiges incandescentes
et de fraîcheurs de menthe.
                                                                                                                                                                    



2003.PAIX POUR LES ENFANTS D’IRAK


Que s’arrêtent les jours de colère sur l’Euphrate et le Tigre,

que finisse la nuit, nuit de feu et de sang, géhenne

de déflagrations, de dévastations, de hurlements de sirènes,

que cessent les jours et les nuits de  colère,

les jours et les nuits d’enfer

et de mort pour les enfants d’Irak ;

que le ciel ne se déchire plus au-dessus de Bagdad,

mais neige des fleurs sur les enfants d’Irak,

SALAM ALIKOUM,

LA PAIX SOIT AVEC VOUS !

Que resplendissent de nouveau les matins de menthe

frémissants de sources, de brises veloutées,

que la terre se couvre de verdure munificente ;

que les missiles éclatent en myriades d’ailes candides
au-dessus des coupoles d’or, des minarets de Kerbala, de Nadjaf,
au-dessus des derricks de Kirkouk,
explosions de paix, houles de douceur fluide
pour les enfants d’Irak,
SALAM ALIKOUM ! 
Que les déluges d’acier et de flammes
se transforment en tempêtes de tendresse ;
que les chars roulant  sur le sanglant macadam
se dissolvent dans la lumière suave du printemps ;
que les mères ne gémissent plus sur les cadavres glacés
des enfants de Bagdad, de Bassorah, de Mossoul,
mais serrent de nouveau contre leurs seins
les menus visages effarouchés
des enfants d’Irak,
SALAM ALIKOUM !
Que les pères reviennent déambuler fiers et légers
à l’ombre des palmiers,
portant leurs fils sur  leurs épaules ,
donnant la main à leurs filles aux yeux de cantilène ;
que les crépuscules d’été
basculant en l’abîme étoilé
abreuvent de leur vaste haleine
l’âme rêveuse des beaux  enfants d’Irak,
SALAM ALIKOUM !
Que s’efface la peur, la peur empoignant jusqu’aux tripes,
la peur des enfants terrifiés par les orages d’apocalypse,
la peur des enfants blessés, des enfants errant regards hallucinés
parmi les décombres, les chaussées défoncées
et les amoncellements de corps déchiquetés,
ta peur à toi, ton tremblement, petit Haidar, que les murs s’écroulent
sur ta famille rassemblée durant les heures d’effarement
et vous écrasent tous,
ta peur à toi, ta panique, petite Shimaa, que des soldats vociférants
fassent irruption et te tuent ou emmènent ton père et tes grands frères ;
que cessent les jours et les nuits d’effroi et de colère
et que la fidèle vie familière
vous prodigue de nouveau sa profonde sérénité,
à vous, pauvres enfants d’Irak traumatisés, mutilés, abandonnés ,
SALAM ALIKOUM !
Que prennent fin les maladies, la soif, la famine,
les larmes de l’enfance orpheline ;
que les marchés regorgent de fruits, de légumes, d’épices, de farine
et de limpide liesse,
que la délectable odeur du pain remplace celle de la poudre,
qu’en cette terre d’immémoriale sagesse
les écoles résonnent des claires leçons du savoir humain,
calligraphie, subtil art du calame, algèbre,
hautes récitations du Livre ;
que reprennent partout  les grands et méticuleux travaux de paix,
fourmillante activité des tisserands, des lavandières, des potiers,
des marchands, des paysans, des lettrés ;
qu’après le temps d’oppression ,de mensonge et de terreur,
le temps des massacres et des bombes,
le temps des ruines et des tombes,
reverdisse comme un continent nouveau le temps de liberté,
le temps de créer, de rêver, de jouer, de conter,
le temps d’aimer, de rire, de chanter et de danser
au son des flûtes et des tambourins,                                                                
le temps du simple bonheur pour les enfants d’Irak,
SALAM ALIKOUM!
Que les monstres aux sourires mielleux, aux pensers fielleux,
ne grimacent plus sur les écrans du monde,
que les visionnaires cauchemardesques de l’Axe du Chaos
suspendent leurs cogitations insanes,
que les casseurs de l’humble merveille quotidienne,
les  manipulateurs de la terrifiante machinerie de guerre et de néant
osent regarder en face de temps en temps
la détresse et le malheur propagés par leurs soins
et  que les touche un éclair de miséricorde
pour les petits enfants d’Irak,
SALAM ALIKOUM!
MISERICORDE ET PAIX!
Qu’ils entendent, les fauteurs de guerre,
les  millions de voix qui à travers toute la terre
crient PAIX, FRIEDE, PAX, PAZ, PEACE, SHALOM,
SALAM ALIKOUM, LA PAIX SOIT AVEC VOUS, 
ENFANTS D’IRAK !
De silencieuses théories d’enfants sortent du fond des âges,
Sumer, Assyrie, Mésopotamie,
enfants kurdes, sunnites, chiites, chrétiens,
ils s’avancent sur les chemins d’Abraham,
sur les chemins d’Ali ;
parmi un peuple de stèles et de mosaïques,
sur des sentiers de vie, haute douce folie,
ils s’acheminent,
au milieu du printemps en floraison le long des fleuves mythiques,
vers l’arc-en-ciel prophétique,
l’immense arc de paix pour tous les enfants de l’Irak,
SALAM   ALIKOUM !                                                                         


ODE PLANETAIRE A MICHAEL JACKSON
La nouvelle a fait le tour du globe en un éclair : MICHAEL JACKSON EST MORT. Stupéfiant impact planétaire quasi immédiat.
MICHAEL JACKSON EST MORT. Elle a rendu son dernier souffle, la bouche d’ombre, la bouche d’or. Et les fans catastrophés n’en reviennent pas. Larmes, cris de désespérance des lolitas effondrées, des ados faux durs tout à coup orphelins. Ils sont atterrés, les fans de tous les continents.
MICHAEL JACKSON EST MORT. Ils pleurent, les couples enlacés inconsolables se souvenant de THRILLER, de BEAT IT, de BAD et de leurs premiers émois amoureux lors de la découverte fascinée de ces albums emblématiques.
MICHAEL JACKSON EST MORT. MICHAEL JACKSON EST VIVANT. Les nymphettes, les jeunes mâles se trémoussent, se contorsionnent. Les projecteurs éclaboussent les visages de leurs faisceaux de lumière impitoyable. Irrépressible besoin d’admiration, d’adoration, besoin de musique tendre et sauvage, de verbe saccadé, syncopé, besoin de danse, de joie libératrice des corps. Elle remue au pied de la scène, la fourmillante, fébrile forêt de bras tendus vers le dieu de la pop music. Besoin d’intégration au chant profond du monde, à la communion des vivants, besoin de désintégration, d’explosion, de folie, besoin de vie avant le saut final, salto mortale.
MICHAEL JACKSON EST VIVANT. Il danse la beauté, il marche la beauté. MOONWALKER. Instants magiques. Beauté solaire, lunaire,  masculine- féminine . Il chante la beauté, voix suave, apocalyptique. Il chante, il danse, fleur du mal et corps eucharistique, beauté de négro-blanchitude, arc- en- ciel noir blanc rouge jaune, beauté moderne, transmoderne, hallucinée.
MICHAEL JACKSON EST VIVANT. Ils ont faim de beauté et de vie, les enfants de la terre, et ils boivent les airs, les images, les métamorphoses fulgurantes du Roi de la pop.
Millions d’yeux levés vers l’icône incandescente.
Et soudain à l’annonce de sa mort inattendue, le choc et le deuil universel et l’ardent recueillement, l’hommage  planétaire, par-delà les sexes, les âges, les races, les classes sociales. WE ARE THE WORLD avait proclamé le prophète électronique et le monde y répond par un hommage unanime à l’heure de sa disparition.
En notre temps soi-disant individualiste, en notre monde atomisé, l’humanité a soif de communion. Les jeux arides et cyniques des pouvoirs politiques et économiques ne lui suffisent pas. Soif d’une autre ferveur qui faute de divin authentique se concentre sur des figures déifiées par les foules, ersatz de sacré souvent frelaté  dans un monde sans sacré.
MICHAEL JACKSON EST MORT. Il entre dans la Légende dorée des superstars, le paradis des étoiles de première grandeur, James Dean, Elvis Presley, Marilyn Monroe, Jimmy Hendrix, John Lennon…Il a été la star mondiale incontestable de toute une époque dont il a synthétisé les contradictions : le rêve d’innocence, de « liberté libre » et les risques de dérives perverses, la quête inextinguible de nouvelles sensations de poésie totale et l’attraction stérilisante de la richesse et de la célébrité, la propension au futile et le sens de la compassion…
MICHAEL JACKSON EST MORT. Le monde entier, Los Angeles, New-York ,Paris, Pékin, Melbourne ,Londres, pleure, chante, danse sa disparition et son entrée dans la Légende.    
Besoin d’adoration. Dieu est mort et les Idoles vivent et les Idoles meurent et ressuscitent en Légende dorée.
MICHAEL JACKSON EST MORT. L’aube se lève livide. Le Prince candide et trouble du royaume d’enfance, l’Ange au gant blanc pailleté n’est plus. Il n’est plus, le divin déviant, le mutant diabolique dont nous adorions les transes chamaniques. Les rêveurs rimbaldiens se réveillent. La faim d’amour reste entière. Où est Dieu ? demandent les enfants. Et les malins  vaseux leur répondent : ne cherchez pas l’impossible, contentez-vous de l’immémoriale routine de non-vie.
MICHAEL JACKSON, QUAND REVIENDRAS-TU D’AU-DELA DES ETOILES, DU ROYAUME D’ETERNELLE INNOCENCE ? Les enfants ne veulent pas mourir de faim d’amour. Le monde ne veut pas mourir de faim de beauté.
 
 AFIN QUE CROISSENT DES PEUPLES D'ENFANTS
 
Bleu

s’épanouissant en palmes mouvantes

vertigineusement au-dessus de la mer

comme ce long cri de colère aux vibrations du sang

usines métro

vous qui entrez ici ne pensez plus

au vaste azur souriant

des méditerranées

noir fracassant s’écroulant

se lèveront les poings dans le matin gluant des banlieues

les poings meurtris frapperont la grande porte d’acier

et s’épanouissant la vertigineuse clameur

montera dans le ciel

vrombissements rugissements martèlements

matin de mort

voici la mer

voici bleu et frémissant de sources

le matin paix aux hommes de bonne volonté

voici tu descends la rue vers la mer

et tu chantes

ton sang inonde l’avenir

qui est une nuit secrète toute muette de germes

et tu marches dans la nuit

aux sourires de femmes

et les poings s’ouvrent en fleurs

dans la grande rumeur des villes

et vous mourrez dans la lumière retrouvée

afin que des peuples d’enfants

croissent au cœur des mers

et dans les rues des villes



 

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