L' INNOCENT
Il marche sur les eaux.
On le caresse, on chante,
on jette des fleurs.
Tu es le miel,
tu es le pain,
Tu es la force et la douceur du vin.
Ils le cherchèrent,
lui qui caresse les ânes
et le voulurent pour roi.
Il fondit au soleil.
FEU DE BOREE
Tôt levé ce matin, avant le remuement des soucieux, dans la pénombre des chambres j'ai aimé la nuit d'hiver.
La grise lumière révéla les collines chenus.
A la crête de ma clairvoyance et de ma tendresse, sans inquiétude j'ai regardé le ciel plombé.
Je suis sorti au jour ombreux, dans la neige neuve.
Pays sans trace, sans chemin (ô neige bienvenue, hiver heureux, qui
ensevelit les vieux sentiers de l'habitude).
Ouvrir la voie,
vers où?
vers le cœur de la plaine à égale distance des bois muets et des bourgs léthargiques là où dort la totale bonté.
Je suis sorti affronter les meutes d'hiver.
Ne plus se lover, se couvrir, se reclure.
Se lever, sortir des murailles, des épaisseurs, des songes, des nostalgies.
S'exposer, s'offrir, ouvrir son chemin nouveau dans la neige intacte.
Vers le cœur de la plaine à égale distance des bois muets et des bourgs léthargiques là où veille la totale bonté.
Avance.
Ne crains pas les couteaux du matin, le ceste d'Aquilon.
Découvre ta plaine de blancheur.
Espace radieux. Aveuglé de poussière glaciale, parvenu au centre de l'aire éclatante, tu fais halte dans la torche interne du corps revigoré, les pulsations du sang, la vaste respiration de l'esprit.
Plaine, ô pur sentiment de mortel, neige nuptiale d'une heure de vie.
Que le froid encore s'aiguise!
Qu'il brûle!
Dureté, douceur absolue de Dieu.
Nous nous déchirions entre l'azur et la glaise. Et voici que la neige nous enseigne la tendre, la terrible lucidité de la terre.
Voici Dieu : aimer la terre hiémale.
ENTRE VERTIGE ET MORT
Habitat froid où pourrissent mes ailes afin que vide
je revive à l'occident des herbes.
Désert des corps glacés
où traînent
hagards
mes visages perdus.
Je me lève
et les ombres me cernent
comme l'enfant qu'assaillent les cauchemars de la nuit.
Matin frêle sur les vitres qui cèdent aux souffles des aubes.
Alors
brusque je
déplie mes organes
et
aux outres tente de boire
OSCILLANT ENTRE VERTIGE ET MORT.
NUR A
AÏGABLECK
Nur a
Aïgableck
sahn mr d
Ardapràcht.
Nur a
Aïgableck
empfenda mr
s Lawafiawer.
O heimliga
Arda,
a so
unheimlig Geheimnis.
Nur a
Aïgableck
Unsr Lawa.
A làwandiga
Frog sen mr.
Un mr
schlofa un tràjma
un sahn Gott
net
in jeder
Blüam,
in jedem
Gsecht.
PARFOIS AUX ABORDS DE L'ETERNITE
Parfois
aux abords de l'éternité,
le silence s'enflamme
en torsades de beauté
autour de la méditation de l'âme,
neige de tendre verdure
que la lumière enrobe
et que frôle le duvet d'ailes lisses
aux mystérieuses striures;
vallonnements d'aube
où des déclivités de délice
douent les doigts
du subtil savoir de joie.
L’ÂME LA NEIGE
La fenêtre s'entrouvre
sur l'âme ,
ciel traversé
d'arbres pâles.
Un visage s'incline
près de la croisée
et regarde la neige du soir
qui soudain s'illumine
de bleu jusqu'aux collines
silencieuses là-bas
dans le plus secret de la mémoire.
OU J'HABITE SE DONNE UN DIEU CANDIDE
Corps de gloire m'arrachant aux morsures de la mort,
Je ne verse plus ma vigueur aux véhémences vertes
De la mer. Clarté triomphale à travers cils, ramilles,
Pétales! Babil des brises dans l'ombre des charmilles!
Fumées, fraîches senteurs du soir montant des brumes d'herbe!
Le déclin doré de douceur drape les cariatides.
Et les palmes bleues balaient les frontons aux néréides.
Soleil sur le gouffre innombrable des pensées; rayons
Pénétrant les abysses tourmentés. Le jour fut long
Qui dévora notre chair troublée , plante de désir
Inapaisable prise au piège horrible du néant!
J'ai laissé votre rage, avides hommes d'Occident.
J'ai laissé votre songe, peuples aux drapeaux ardents.
Où j'habite se donne un dieu candide, un dieu enfant.
PARFOIS AUX ABORDS DE L'ETERNITE
Parfois
aux abords de l'éternité,
le silence s'enflamme
en torsades de beauté
autour de la méditation de l'âme,
neige de tendre verdure
que la lumière enrobe
et que frôle le duvet d'ailes lisses
aux mystérieuses striures;
vallonnements d'aube
où des déclivités de délice
douent les doigts
du subtil savoir de joie.
PSAUME
dans les cathédrales exultantes de joie
éclatent les orgues
des colombes de douceur
survolent les candélabres
traversant diaphanes les nuées d'encens
et se perdant dans la lumière des vitraux
qui vibrent d'allégresse dorée
Bête de Nudité et de Lumière
Alors j'ai obéi à ton obscure injonction.
Je me suis mis en route dans ma ténèbre,
et un à un mes vêtements ont chu sur le sol.
A l'aurore j'avançais nu vers ta gloire et
le cimeterre de ton éclat m'a transpercé.
Le corps vêtu de ma seule âme
à toi je me livre
splendeur.
Mes crimes ont creusé le lit
où maintenant se rue cette eau d'ébène
et d'or, ce fleuve d'astres et d'ardeur.
Au plus profond de mon puits de solitude,
sous ma bourbe immonde,
je redécouvre la nappe d'amour, la lave
éternelle qui dort au centre de l'être.
Bête de nudité et de lumière,
nous chérirons même la mort,
par-dessus tout la mort,
qui nous arrachera le travesti ultime
et nous affrontera au terrible diamant de l'opaque.
Savoir patent: que nous sommes nus,
nus jusqu'au sexe comme l'enfant,
et que rien ne protège contre le froid de mort.
Tous, oripeaux de mascarade,
habits de faux rois, de clowns.
Douceurs mensongères.
Mais aussi, à clamer, ce désir
qui ne peut se dire.
AU PAYS DE L'ABSENCE
J'ai longtemps séjourné au pays de l'absence,
attendant la venue d'un être de beauté.
La nuit, me harcelait la horde des démences
et je mourais de soif d'une eau de pureté.
Et je mourais de faim du pain de nudité
dans des pays fermés aux souffles de l'amour.
De grisaille et de suie j'étais environné,
ne sachant retrouver le chemin du retour.
Le chemin du retour vers la simplicité,
la difficile et haute enfance reconquise.
Et je mourais d'attente en des déserts brûlés
quand s'éleva la voix enfantine et exquise.
"NAH IST
UND SCHWER ZU FASSEN DER GOTT."
(HOELDERLIN)
"J'ATTENDS DIEU AVEC GOURMANDISE."
(RIMBAUD)
SOIS CRI MAINTENANT
Sois cri
maintenant
au coeur de ta sauvage réserve.
Sois cri,
cri abrupt silencieux
dans la nuit de Dieu
et attends,
attends
nu dans l'âpre,
dans l'obscur
sans chemin,
attends
le tendre éclair,
la grâce.
LE SOUFFLE DE DIEU
Le souffle de Dieu,
c'est cette brise légère
qui parfois se lève
quand s'interrompent le bruit et la fureur,
quand se taisent les bavardages
et que le silence soudain se déploie
des coeurs méditatifs
jusqu'à la lumière d'ailes de neige
là-bas par-delà les cimes.
Alors au plus secret de chaque orant
frémit le tendre murmure de Dieu
et son feu frais irradie à travers les visages.
Et comme une immense caresse
le ciel touche la terre,
vivifiant tout être
qui s'offre au plus profond Respir.
NATIVITE
dans la nuit
dans la froide nuit du monde
une étoile surgit
une fleur éclot
un enfant naît
l'enfant absolu
le Dieu d'enfance
rien qu'un petit et fragile corps
perdu dans la froide nuit
où s'incarne
la Toute-Puissance de l'infinie Tendresse
voici naître
le Dieu fou
le Dieu illogique
brisant les raisonnables ordonnances des Raisonnables
Créateur prenant la forme d'une créature
voici naître
Iéshoua fils de Myriam
à Bethleem de Juda
obscur patelin d'où selon la tradition
rien de bon ne peut sortir
et c'est le Rédempteur du monde
le trésor entre tous
le Nom qui sera élevé au-dessus tous les noms
voici naître
l'Obéissant absolu du Dieu Amour
et le radical Rebelle
qui va subvertir le règne de domination et de mort
voici naître
le Maître de douceur le Maître de vie
ni Dieu pur esprit ni Dieu rien que chair
ni culpabilisateur ni adorateur de ce monde
mais son Créateur et son transfigurateur
voici naître
voici s'éveiller
au coeur du silence nocturne
loin des Capitales agitées
loin des Palais majestueux
voici s'ouvrir la toute petite graine l'infime présence
du Dieu Infini qui lentement silencieusement
germera jusqu'à l'Accomplissement
A L'ENFANT DE LUMIERE
Me voici
dans mes caves d'ombre
offert aux frôlements de l'aile éternité.
En moi l'amande d'amour s'éveille
parmi racines ivres et ronces.
Ô tâche terrifiante!
Tout anxieux devant le faix à porter,
devant la mort crucifiante et l'énigme,
je suis là, ouvert, à attendre,
à attendre qu'à travers moi tu renaisses,
à attendre la suite de mes jours et leur terme dans ta transparence.
Le vent gémit et tourmente les branches.
Le froid sagitté cerne les abris et les nids.
La nuit écrase et crie.
J'attends .
Et tout attend, balbutiant son désir indicible.
J'attends et n'entends plus que mon silence tendu,
et les neiges de la nuit attentive,
et les cloches lointaines contre le ciel
fêtant le ferme et frêle espoir
d'un miracle de rose sur la tige de Jessé.
Me voici, Enfant,
comme aux saisons naïves
venu vers toi,
parmi bergers et rois,
pâtre éperdu d'un troupeau sans figure,
astres, plantes, bêtes,
âmes et peuples épars se nourrissant de nuit
dans le vertige des millénaires.
Je viens puiser la lumière
d'une humilité nouvelle.
Ô fasse qu'en nos corps inextricables
la terre trouve son visage, sa nudité, son feu.
CHANSON DE NOËL
Sapins, étincelez de givre,
Brillez de guirlandes d’argent !
Dansez, clartés, dans le rêve ivre
Des petits et des grands enfants !
Voici Noël ! Voici Noël !
Allumons nos blanches chandelles !
Reflétez les mille lumières,
Boules bleues et boules dorées !
Globes de subtile matière,
Grisez les yeux émerveillés !
Voici Noël ! Voici Noël !
Décorons maisons et chapelles !
Cieux et églises, célébrez
Sous vos voûtes la sainte messe
De la nuit de Nativité !
Rugissez, orgues d’allégresse !
Voici Noël ! Voici Noël !
Exultons de joie solennelle !
Bambins, bambines, gambadez
Par les ruelles recueillies !
Courez dans la bise glacée
Jusqu’à l’étoile du Messie !
Voici Noël ! Voici Noël !
Chantons l’Enfant Emmanuel !
Neige, lente de blancheur bleue,
Tapisse en douceur les chemins !
Dans la vaste veillée de Dieu
Fête Noël pour les lapins !
Voici Noël ! Voici Noël !
Nuit de tendresse et nuit de gel !
Nuit, profonde Nuit, prophétise
D’astres par-dessus les hameaux !
Et que le cosmos catéchise
L’âme inquiète des animaux !
Voici Noël ! Voici Noël !
Entrons dans la Nuit Essentielle !
Anges, tendez vos ailes d’aube
Au-dessus des sombres pâtures
Et annoncez aux veilleurs probes
Le Règne qui tout transfigure !
Voici Noël ! Voici Noël !
Paix sur la terre et joie au ciel !
ET INCARNATUS EST
et s'est incarné
en pleine pâte
en pleine matière
pour être avec les étoiles les herbes les bêtes familières
pour être avec toutes ses créatures
et s'est incarné
s'est fait chair
s'est fait homme a assumé sa déchirure
s'est incarné dans notre misère
dans notre nudité
s'est fait enfant
enfant vagissant
enfant affamé qu'on allaite
enfant inquiet que l'on apaise
s'est incarné dans l'humaine glaise
dans l'humus fondamental
et s'est fait corps fièrement vertical
s'est fait sang viscères muscles sexe
s'est fait cerveau aux pensers complexes
s'est fait mains
mains qui secourent qui pacifient
s'est fait bras pour étreindre l'ami
s'est fait corps bipède agile
pour arpenter campagnes et villes
et s'est incarné
dans l'abjection dans la merveille humaine
dans l'angoisse humaine
et s'est impliqué dans nos histoires mondaines
et s'est fait homme
de la même humanité que toi et moi
de la même pitoyable miraculeuse humanité que toi et moi
et s'est incarné dans l'humilité
dans l'incognito parfait de la commune loi
s'est fait homme comme n'importe qui
comme le moindre d'entre nous comme le plus petit
pour donner visage
à tout homme toute femme tout enfant
visage transhumainement humain
visage nu du Dieu Souverain
visage transfiguré de l'homme
DES VISAGES VIENNENT DU FOND DE L'OMBRE
Les maisons sont vides,
la nuit les traverse.
Parfois tombe une averse
sur la terre et ses rides.
Des enfants dorment sous l'arbre
qui se remplit d'étoiles.
La nuit étend son voile
sur les tombeaux de marbre.
Les visages viennent du fond de l'ombre
et se perdent dans la clarté
d'autres restent froids et sombres
au passage de la beauté.
La main se tend vers la table,
mais le pain est absent.
La faim est épouvantable.
Dehors rôde le vent.
LA MORT DE L'ATHEE
Laissez-moi,
je veux mourir seul,
sans vos illusions,
sans votre pitié,
seul comme vous le serez tous
à l'heure de la mort.
Laissez-moi regarder en face
la splendeur du néant
sans vos discours mielleux.
SOLITUDE
oiseaux perdus
dans la nuit opaque
cris
au-dessus des toits chargés de peur
la verdure noire vocifère
et dans la terre dorment
les bêtes minuscules
immensément seules
au milieu des galaxies
PSAUME DE LA PLUS HAUTE FOLIE
Seigneur,
me voici,
nu devant Toi.
Me voici nu,
approchant de la nuit.
Me voici face à la nuit
et je n'ai rien fait de ma vie.
Perdu ma vie
en stupidités, indignités,
doutes, veuleries,
folies.
Me voici
les mains vides
au bout des quêtes fiévreuses,
au bout des sentes tortueuses,
aussi nu,
aussi perdu
qu'un enfant,
rien que blessure béante,
rien que faim, infiniment.
Seigneur,
me voici,
nu devant Toi.
Emplis-moi de la plus folle folie,
la folie de la foi.
SCHREI
am Rande der
Stadt.
Die Landschaft
betrachten unterm Schnee.
Kahle Baüme wie
Angstgespentster im Nebel.
Nähert sich in der
Ferne der Wald des Grauen?
Wieviel Tage,
wieviel Nächte ohne zu reden,
wartend auf ein
Wort,
nur ein Wort.
Aber nichts.
Unendliche Stille.
Jetzt draussen
stundenlang in leeren
Viertel irren
zielloser düsterer
Wanderer.
Niemand, kein
Gesicht begegnen stundenlang,
kein freundlichen
Blick.
Unterwegs in
wüstigen Gassen, auf öden Strassen.
Niemand, kein
lebendiges Wesen, keine Seele.
Verwirrter
Wanderer im Niemandsland verloren.
Ist die Stadt
ausgestorben?
Ist Ende der Welt
oder trauert Gott?
Schwarze Baüme am
Fluss. Schwarzes Wasser.
Todbleiche
Dämmerung, Nacht und Nebel.
Weite Einsamkeit
bis zu den
Kasernen, dem Bahnhof, dem Gefängnis,
bis zur
Hurenstrasse
wo sie strahlt die
Einsamkeit
in den Augen voll
Hunger und Scham.
Im Wasser schwimmt
Dreck.
Sternen fallen.
Sei Schrei jetzt
aus deiner stummen
Wildnis.
Sei Schrei,
stiller Schrei
in der Gottesnacht
und warte,
warte nackt
im herben Dunkel
ohne Pfade,
warte auf den
zarten Blitz der Gnade.
ENTRE LES PLAINTES ECLATS SOMBRES
Lit où viennent battre les mers de râles
mains pâles yeux mi-clos
campagnes nocturnes
assiégeant de leur silence uhulant la solitude du mourant,
draps noirs lisses
cris clous croassements crucufiements,
sang jaillissant contre les vitres et les branches
halètements soupirs
chants où sanglotent la blanche éternité et les anges d'enfance
Jadis sur les couches obscures
ô délices dissimulées au plus secret de la nuit
longues langueurs ciselées sous les toits lourds
envahis d'ailes frémissantes de feuilles
vautours de la volupté lacérant les chairs
rouges assauts toute honte refoulée toute borne franchie
odorante fraîcheur de forêt neige
abîmes éclats dans les déchaînements impudiques
parfois les vents soudain soulevaient les draps
et exposaient aux étoiles murs écroulés murmures de mort de marbre
parmi les colonnes et les décombres de minuit
la nacre de la nudité tumultueuse
Au-dessus des déroutes des ravages des effondrements du délire
brûlaient alors des lambeaux de souffrance
des voix déchirantes appelaient du fond noir engloutissant les astres.
la vérité terrible hurlait hurlait des granits froids au gel des constellations
Maintenant les oiseaux refluent en flots soyeux vers les îles
loin de la demeure du solitaire agonisant.
maintenant s'ouvrent des vantaux
et voici
vêtu de plaintes
d'épouvantes
de sueurs de serpents
voici couvert de peurs et de crachats
parmi les tocsins
les blasphèmes
l'Agneau
DOLOR
douleur des pierres
compacte dure terrible nuit
minérale
douleur des arbres figés
sous le ciel torride
ou tordus par la fureur déchaînée des tempêtes
douleur lourde lente des plantes
dans le froid
douleur dans l’infini
fracas d’astres
cri du ciel rouge noir
au-dessus des potences
au-dessus des potences
L'EAU NOIRE
La pluie tombe, tombe
dans le sombre soir d'automne.
Elle noie les morts, les pauvres morts atones
qui dorment sous la glaise.
L'eau noire remplit les orbites
où furent les yeux splendides
qui contemplèrent les matins de braise.
L'eau noire emmène
les restes de songeries
des crânes qui pensèrent
les cosmologies, les théologies.
L'eau noire entraîne
les pauvres morts, les corps sans nerfs,
vers les gouffres d'enfer
où pourrissent les soleils éteints,
les divinités exsangues.
L'eau noire du néant
tombe, tombe sans fin
dans des chaos sans langue.
VISION D'IDOLES
Funèbres visions sorties d'antiques nuits,
Elles vinrent à moi, pas à pas, silencieuses;
Elles vinrent, passions sublimes, ténébreuses,
Tristes dieux ancestraux par le passé détruits.
C'étaient les dieux déchus, ombres marchant sans bruits.
Ils venaient, affamés, des tombes mystérieuses.
Et, muets, se serraient dans des marches fiévreuses,
Fantômes terrifiants sur mes chemins conduits.
Fictions, produits spectraux des ères reculées,
Dieux de Delphes, d'Angkor, Babylones passées,
Peuples olympiens, meutes de Walhalla!
Dieux sombres de l'Eddas, idoles gangétiques,
Rêves puissants, obscurs, illusions mystiques
QU'AU-DESSUS D'UN MONT CHAUVE UNE OMBRE TERRASSA!
"ET POURTANT NOUS DEVRONS DIRE ADIEU A LA TERRE,
EFFACER DE NOS YEUX LE VISAGE DES ÊTRES,
OUBLIER JUSQU'AU CIEL POUR APPRENDRE LA NUIT."
(VIGEE)
"SEUL, SANS RECOURS, IL FAUT FERMER LES YEUX
ET TOUT AU FOND DU NOIR CREUSER VERS DIEU."(DADELSEN)
NOUS VOICI SEULS DEVANT LE CIEL NU
Nous voici seuls
devant le ciel nu, nous voici, craintifs, gouffres mornes
de toute la mort
qu'il faudra traverser après ces
lambeaux de vie moite de vagues
bonheurs.
O nuit, broie nos âmes, broie la crayeuse roche qui rugit son
silence au coeur des monts noirs !
Nous cachons notre honte dans l'enclos des
pierres, indignes de ta sombre splendeur.
Ah ! brise nos
corps versatiles de ton acier atroce !
NUIT
J'ai cherché la clarté indubitable du jour
et j'ai trouvé la nuit.
J'ai cherché la connaissance
et j'ai trouvé la nuit.
J'ai cherché la beauté
et j'ai trouvé la nuit.
JEU NU
Vastes contrées s'ouvrant. Il arrive. En pleine nuit. En plein jeu.
Devant la nuit, me voici. J'ai cherché la clarté indubitable du jour et j'ai trouvé la nuit.
Depuis des éternités, toute cette longue enfance, il est en chemin. Interminables limbes. A erré, cherché à tâtons, avec désespoir, avec espoir, fouillé, piétiné sur place, exploré avec méthode, nonchalamment, assidûment, cherché, scruté, expérimenté, avec tiédeur, avec acharnement, en désordre, minutieusement, de tous côtés, cherché. Impasses, pistes incertaines s'égarant,
bourbiers... Tout ce chaos de quêtes confuses. Tout ce long matin.
J'ai cherché la connaissance et j'ai trouvé la nuit.
J'ai cherché la beauté et j'ai trouvé la nuit.
J'ai cherché et la nuit m'a trouvé, au bout de mes itinéraires hagards.
Ai traversé les pays d'illusion de tous les Dieux, ceux
des Cieux et ceux de la Terre.
Un à un, m'ayant pour quelque temps enivré de leur sang, les Dieux sont morts en moi, et je suis né à la nuit.
Me voici dans la nuit, rugueuse, hospitalière.
Je laisse parler la nuit, le silence infiniment infini de la nuit. Respirations de mers.
Je laisse faire la nuit. Végétation d'astres infiniment lente.
Mort. Embrasé.
Vide. Comblé.
Je laisse faire. Brûle.
TRAVERSER L'OBSCUR
Traverser l'obscur,
la rouille, la mort.
Avec patience, avec courage,
avec rage.
Traverser la nuit.
Douloureusement traverser la glaise,
la gluante terre,
la terrible gluante terre,
la chair.
Lumineusement traverser
l'enfer.
Ne pas s'arrêter.
Ne jamais s'arrêter.
Ne pas se retourner.
Ne jamais se retourner.
Avancer.
Traverser.
Traverser le noir.
Dans l'absurde.
Dans le désespoir.
Encore. Encore.
Dans le délire.
Marcher.
Avancer.
Traverser, brûler le pire.
Energie de Dieu.
Au centre.
Force axiale.
Feu.
LA NUIT DE DIEU
A genou,
nu,
dans la haute nef.
Livré au terrible silence.
Des dalles monte
le froid de mort.
Vagues vitraux
de laiteuse nuit.
Nu,
face contre le sol,
abandonné
au vertige de nuit,
à la nuit infinie
où naissent et meurent
infiniment les mondes.
Seigneur,
quand montreras-tu ton visage?
ELEVATION DE LA VIERGE
Ayant aux aveux doux
fermé sa douce bouche,
l'ayant étendue nue
dessous la glaise rouge,
l'ayant pure élevée
d'entre les chairs enceintes
Dieu pris la jeune morte
parmi les vierges saintes.
MERE REPOSE EN PAIX
Mère,
Müater, unsri Müater.
J'ai du mal à parler,
à dire ces mots que tu m'as appris.
La peine m'étreint.
Mais debout il faut dire ton chemin,
ton chemin d'humble gloire.
Debout il faut dire
l'infinie tendresse qu'irradiait ton visage
et ta profonde stupéfaction d'être.
Enfant, tu as connu tout le bonheur de vivre
et tout le malheur de vivre.
Tu as vécu la mort de la mère, de ta mère,
et ce fut comme un glaive
transperçant pour toujours
ton âme de petite paysanne.
Mère, repose en paix
dans la maternelle tendresse de Dieu.
Jeune femme, illuminée de ta frêle beauté,
tu as connu les joies et les soucis
d'épouse et de mère.
Tu as été la compagne attentive de notre père,
le soignant jusqu'au bout,
le pleurant inconsolable après sa disparition.
Mère, repose en paix
auprès de celui que tu as rejoint,
notre père terrestre.
Tu as été la güata Fràj et la Mûater,
mère par excellence,
mère pour tout le monde,
tes enfants, tes petits-enfants, tes brus, tes gendres,
et tous ceux que ton coeur accueillait,
mère sourire,
mère confidence,
mère courage,
mamama bonne soupe
mamama gâteau.
Jour après jour, tu as fait ton oeuvre,
l'oeuvre humble de la maison du bonheur,
la grande oeuvre ordinaire de persévérance et d'amour,
qui vaut mille fois celle des Importants.
Müater, tu as accompli ton oeuvre,
repose en paix dans la douceur de Dieu.
Tu as trimé jour et nuit,
nettoyé, lavé, lessivé, cuisiné, jardiné,
tenu ton commerce,
éduqué tes enfants,
aidé ton mari...
Tu as traversé les fatigues, les grisailles,
les tracas quotidiens, les faiblesses communes,
les péchés de tout le monde,
les angoisses, les mélancolies.
Tu as lutté, porté, supporté.
Mère, repose en paix dans la joie de Dieu.
2
Tu as été celle qui donne sans mesure.
Tu voulais secourir toutes les misères du monde,
soulager toutes les détresses.
Tu as été la tolérance et la générosité incarnées.
Tu as su écouter chacun, sans jamais juger,
parler à chacun, selon sa personnalité,
à l'intelligent avec intelligence,
à l'esprit borné avec indulgence,
au rabâcheur avec patience,
au bienveillant avec reconnaissance.
Tu as eu compassion de toute créature souffrante,
y compris les animaux,
le chien abandonné, la bête martyrisée.
Tu as été le coeur le plus ouvert, le plus aimant,
le coeur le plus blessé
par tout le malheur du monde.
Mère, repose en paix
auprès du Dieu Consolateur.
Tu as marché dans la nuit,
la nuit des doutes,
la nuit des questions crucifiantes,
pourquoi le mal,
pourquoi la mort,
pourquoi la souffrance des enfants innocents.
Tu te croyais la plus indigne,
la pauvresse sans défense qui ne sait rien
devant le grand mystère.
Tu as marché dans la nuit.
Mère, repose en paix
dans le Dieu de lumière.
Tu as cru au Bon Dieu,
au Dieu de bonté.
Tu as cru comme une enfant
en l'Amour qui surpasse tout.
Mère, repose en paix dans la candeur de Dieu,
et aide-nous à croire l'incroyable,
que l'Amour est plus fort que la mort,
que tout est grâce,
qu'à jamais tu es vivante en Dieu
et au plus intime de chacun d'entre nous
qui te chérissions.
Mère, repose en paix
dans l'aube éternelle du Christ ressuscité.
Mère, repose en paix.
RESURRECTION
Cri de victoire de la plus grande insurrection,
l’insurrection contre la mort.
Bleu, bleu de paradis le calme de Pâques
Et blanc, blanc éclatant l’essor
des ailes dans les immensités de fraîcheur.
Voici le Vivant inouï
parmi les oiseaux de neige, les bêtes éblouies,
les floraisons de l’aube.
Hors des contrées de larves,
Hors des terres de détresse,
Il avance vêtu de la lumineuse robe
d’astres et d’allégresse.
Il avance, le Vrai Vivant,
dans le candide soleil d’éternité,
dansant léger avec les brises duveteuses,
les parfums, les pétales bleutés,
dansant , marchant délicieusement lent dans la rosée
matinale inondant de menthe les rues pavoisées
et les jardins des cités ouvrières.
Il traverse auroral les places retentissant de rires écarlates,
les gares aux rails d’incandescence,
les usines, les supermarchés, les bistrots bruissant de juke-boxes ;
et les enfants Le regardent et s’éclatent.
Voici le Vivant de splendide innocence.
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