ABSOLUE SIMPLICITÉ, LUMIÈRE DE LA NUDITÉ
État de prière, de poésie : vivre
relié à la Parole qui vient du dedans.
*
Prier, c’est comme se laver de tout le fatras de la vie
quotidienne en se plongeant dans les rafraichissantes profondeurs de la
méditation, dans les eaux lustrales du silence.
*
Prière. Se détacher mentalement des investissements humains
et s'ouvrir au silence, au Dieu-Verbe en notre for intérieur.
Passer des valorisations du monde à la non-valorisation, à
la vacuité accueillante, porte de la Parole créatrice au cœur de notre être.
*
Vivre en état perpétuel de vide, de prière. N'être que pures
faim et soif et attendre sans fin, éternellement, le pain du ciel.
*
S’effacer le plus et s’immerger en profondeur dans l'écoute du silence.
*
ADORATION PERPÉTUELLE
1.Matin
Le jour entier, la nuit entière,
les vivre comme prière
dans le silence intérieur.
Tendre, laiteux silence matinal,
ciel de porcelaine
par-dessus les villages endormis.
Sois entièrement silencieux et écoute le silence.
Silence des tendres corps rêveurs dans les chambres
tièdes.
Silence bleu de l’éveil,
du toujours neuf renaître à la vie.
Silence comme soie, comme source fraîche,
matière divine, paix de lumière, brume blanche
qui flotte au-dessus de toute la terre
et imprègne toute chose.
Tout est encore calme, tout est encore silencieux
Tout est encore calme, tout est encore silencieux
dans l’attente du jour.
On entend la secrète germination et la croissance des
plantes,
le lent dépliement des feuilles,
des fleurs dans la transparence du jour d’été,
le déploiement de la simple beauté, odeurs, couleurs, formes,
psaume silencieux de toutes les créatures.
Arbres et buissons s’éveillent,
vibrant d’yeux et de gazouillis.
Les jardins resplendissent,
débordant de lys, de glaïeuls, de tournesols.
Une brise vagabonde traverse les maisons
ouvertes sans réserve dans l’illimité songe de
lumière.
La mer des champs de blé s’étend
jusqu’aux vignes, jusqu’au ciel.
Songe d’été. Tout est silence,
tout est extase, élévation, infinité.
Les oiseaux se perdent dans l’or liquide du soleil,
dans la splendeur du paradis.
Le jour le plus long,
pure édification d’azur,
règne sur la plaine en toute plénitude
et dans les vaporeux lointains bleu ciel
les montagnes nagent comme des nefs aériennes.
2.APRÈS-MIDI
Midi. Suspens du temps. Chaleur. Chaleur. Canicule.
L’odeur de la terre danse dans l’air vibrant.
Les abeilles bourdonnent dans le verger.
Les poules gloussent assoupies près du poulailler.
Les enfants somnolents fantasment
et se dissolvent
dans le délire solaire.
Les amoureux flirtent, gazouillent
et commettent de tendres péchés dans l’ombre.
Les chiens dorment et ronflent dans l’herbe humide.
Les chats s’étirent sur les pavés chauds.
Suspens du temps. Innocence de la vie.
Je suis assis sous mon arbre, l’arbre de la poésie,
et attentif, poreux, écoute le silence.
Maintenant pousse en moi un autre arbre,
l’arbre du verbe, musique du silence,
langue silencieuse des fleurs, des nuages, des
animaux.
Le verbe vivant croît dans mon corps,
le verbe devient chair, devient lumière, devient
poésie,
chant profond de la vie,
cantique de la
Création.
Chaleur. Fièvre caniculaire. Tout est en attente
d’orage.
Tout appelle : pluie ! pluie !
Viens, la pluie ! sombre temps d’orage !
Éclair sauvage, déchire le frêle silence
avec tes violents zigzags !
Submergez la terre assoiffée,
gigantesques seaux d’eau des nuages !
Après l’orage, calme, tendre calme.
Les arbres et les plantes boivent
la fraîcheur verte de lait-menthe du silence.
Un arc-en-ciel unit le ciel noir et la terre exhalant
des vapeurs.
Le soir violet monte derrière les toits.
Un cœur d’oiseau bat dans le silence crépusculaire.
Sérénité, tendresse rose avant la nuit.
Le ciel saigne dans la sombre forêt.
Entendez-vous battre le cœur de l’oiseau ?
Entendez-vous prier le silence ?
3.Nuit.
Doucement monte la nuit
des profondeurs matricielles du pays,
de l’abîme du firmament.
Dans le silence de la nuit brûle
la braise secrète de la nostalgie
et la flamme avide du désir,
désir de volupté, désir de vie.
Dans la nuit le silence s’approfondit.
De blêmes visions, d’étranges fantasmagories
d’angoisse
encerclent la solitude sidérée.
Dans le silence de la nuit on entend des voix
confuses.
Les ténèbres sont remplies de voix,
des voix muettes qui crient.
Ce sont des morts oubliés, nos défunts abandonnés,
pauvres âmes perdues entre nuit et brouillard.
Sois silencieux et calme,
vide ton esprit et écoute.
Tout parle dans le silence, tout chante, tout crie.
Tout est simple
et tout est infiniment mystérieux.
Tout commence, tout respire et tout retourne
dans le silence abyssal de Dieu.
Ô demeurer dans l’éternel repos !
Le silence est ma patrie.
J’habite le silence
loin du bruyant chaos du monde.
Le silence est ma source, le silence est ma
nourriture,
le silence est mon infinie quiétude.
Le silence chante la joie et la souffrance de toute la
Création.
Le silence chante la splendeur du firmament constellé
et la fragile beauté du moindre papillon.
Le silence est adoration perpétuelle.
Au cœur du silence est caché le mystère de l’éternité.
Le silence est le cœur du monde,
le cœur de toute créature.
Le silence est la patrie de tous les êtres aimants.
Le silence est la respiration de Dieu.
LITURGIE DU SILENCE
Faire silence pour écouter le silence, le dire profus du
silence.
Taire le vacarme incessant des pensées, vampire mental qui
dévore au dedans.
Faire silence. Doucement, graduellement, sans effort, mourant
à tout effort, toute crispation, toute volonté propre.
Et s'abreuver, se nourrir de silence.
N'être plus qu'oreille, attention intense au chuchotement
des choses.
Boire, boire à la source profonde, à la source la plus
profonde, infiniment profonde. Originelle. Matricielle.
Faire silence. Lentement, patiemment s'ouvrir, s'offrir.
N'être plus qu'ardente humble attention, plus que pure ouïe
de l'infini murmure.
Le silence parle. Avec des murmures, des babils, des
gazouillis, des balbutiements. Clameur muette à l'adresse des humains qui ont
des oreilles, mais qui n'entendent pas.
Le silence chante, bruissant comme soie, comme blé ployé par
brise, moires murmurantes.
Le silence chante, s'ouvrant, s'amplifiant, vaste psaume,
s'affinant porcelaine, fluide lave de fraîcheur.
Le silence chante, vastitude océanique précieuse comme une
perle.
Le silence chante, grandiloquence de voie lactée et
discrétion, fragilité d'élytre de libellule.
*
Quand tu parles, puise au silence inépuisable au fond de ton
intime intimité.
*
La parole qui ne se nourrit pas de silence risque de n’être
que du vent.
*
L’ESPRIT D’ENFANCE.
L’enfance irradie la lumière de la vie, lumière inoubliable que la
mélancolie de l’âge ne parvient jamais à couvrir entièrement de ses
brumes : cela fut, cela est in eternum.
*
L’ardente inconnaissance : l’enfance retrouvée par-
delà les blessures de la vie.
*
Le chemin de la vie est conquête sans fin de l'essentielle enfance, l'enfance de l'âme.
Le chemin de la vie est conquête sans fin de l'essentielle enfance, l'enfance de l'âme.
*
Les petits enfants posent les questions les plus grandes, les plus profondes. Au sortir de l’enfance, l’être humain oublie peu à peu son étonnement questionnant et s’enfonce dans le lourd sommeil de l’habitude et du conformisme granitiques.
Les petits enfants posent les questions les plus grandes, les plus profondes. Au sortir de l’enfance, l’être humain oublie peu à peu son étonnement questionnant et s’enfonce dans le lourd sommeil de l’habitude et du conformisme granitiques.
*
« LA PROPHÉTIE A ÉTÉ CONFIÉE AUX ENFANTS ET AUX FOUS. »
(TALMUD)
Redevenir sciemment des enfants, des êtres ouverts, sans
essence définie.
*
Rien n’est plus contraire à l’esprit d'enfance que l’esprit bourgeois et plus
encore l’esprit petit-bourgeois, le bourgeoisisme au cube.
*
L’enfant sait déjà
tout. L’homme passe sa vie à redécouvrir cette première co-naissance au monde.
*
Ce sont nos enfants
qui font de nous des êtres vraiment humains, regardant au-delà d’eux-mêmes.
*
Nous sentons que la vérité de la vie habite en l’enfant.
C’est pourquoi sauf exceptions tristes nous le respectons plus que tout.
*
Monde adulte : système de défenses contre la
Parole-vie, contre l’esprit d’enfance.
*
« LE TEMPS D’UNE VIE EST LE TEMPS D’UN SOURIRE DE
NOUVEAU-NÉ : C’EST BREF ET CA NE S’ÉTEINT PLUS. » (CHRISTIAN BOBIN)
*
L’homme qui ne sait pas apprendre de l’enfant ne restera
qu’un homme.
*
CHANT DE LA GRATUITÉ. Gratuit le frais sourire de l’enfant,
la lumière de son regard, la joie s’exprimant par tout son être, pur élan de
vie. Gratuite la beauté de la rose, la splendeur du ciel étoilé.
*
DIE ROSE IST OHNE
WARUM.
SIE BLÜHET WEIL
SIE BLÜHET.
SIE ACHTET NICHT
IHRER SELBST,
FRAGT NICHT OB
MAN SIE SIEHET.
(ANGELUS SILESIUS)
LA ROSE EST SANS POURQUOI.
ELLE FLEURIT PARCE QU’ELLE FLEURIT.
ELLE NE SE SOUCIE PAS DE SOI,
NE CHERCHE PAS SI ON LA VOIT.
*
L’essentiel est absolument simple.
*
Extraordinaire beauté des choses les plus ordinaires de la
vie. Vivre émerveillé par le plus simple.
*
L’absolument simple ne peut se saisir avec la pensée. On ne
peut le comprendre, on ne peut s’y ouvrir que par le cœur.
*
L’intellect embrouille tout, noie l’absolument simple dans
la complexité.
*
Il faut arriver à une simplicité
absolue. C’est l’unique finalité.
*
Le chemin est long vers l’extrême simplicité : vivre
Dieu en soi.
*
VOIES DE LA BEAUTÉ
L'éternité rayonne plus dans la beauté éphémère que dans les
monuments prétendument inaltérables.
*
La beauté est ce qui subsiste de Dieu dans le monde après la
chute.
*
« SI LA BEAUTÉ N’EST QU’UN CONTRAIRE, ELLE N’EST PAS LA
BEAUTÉ» (KRISHNAMURTI).
*
La beauté qui se sait beauté éblouit ; elle ne rayonne
pas.
*
Beauté des êtres qui ont renoncé à l’Ego. Ils rayonnent de
l’intérieur.
*
Vivre lumineusement, non sérieusement.
*
Dieu prouvé par Dante, Fra Angelico, Grünewald, Rembrandt,
Bach, Mozart...
*Il faut écrire, peindre, faire de la musique, faire du théâtre, comme si c'était pour l'éternité. Absolument.
*
Que fait l'art? Il inscrit le désir sur la page du néant. Cri vers Dieu jeté du fond de l'abîme du non-être.
*
Si l'art ne jubile pas, s'il ne bouleverse pas, s'il ne scandalise pas, il n'est que dérisoire, fade aliment pour la coutumière léthargie des humains.
*
L'art est la fausse vie tellement plus vraie que la vraie vie.
*
L’art : l’éclatement du monde égoïque, non un monde marginal.
*
L’art, la religion: jeu plus grand, non jeu à côté de la vie quotidienne.
*
La musique, bien que ne disant rien, est dire sensible de l'infini.
*
La musique clame, la musique murmure les cris de jubilation, les sanglots de désolation de l’humanité.
*
Approche sensible de Dieu : elle est primordiale. Rôle
éminent de l’art, de la poésie, des liturgies, de la contemplation de la nature
et plus encore de la relation humaine, d’âme-chair à âme-chair.
*
Certaines musiques divines proclament en toute beauté que
Dieu est l’Évidence.
*
« UNE MÉLODIE GRÉGORIENNE TÉMOIGNE PLUS QUE LA MORT
D’UN MARTYR. » (SIMONE WEIL)
*
Le Requiem de Mozart dit Dieu avec plus de force que toute
une bibliothèque de théologie.
*
ESTHÉTIQUE DE DIEU. Dieu est dans l’infime, dans l’intime,
dans le discret plutôt que dans le pathétique, le grandiose, l’imposant.
*
Dieu n’habite pas le plus haut des cieux. Il est le cœur de
la Vie, candeur, charité, beauté.
*
Tant qu'un enfant, quelque part sur terre, entendra ce que
(lui) dit une rose, Dieu reste vivant.
(Dieu : ce défaut dans le cyclopéen rempart de la vie
soucieuse, préoccupée, par où se voit encore le tremblement d'une fleur ou
d'une étoile.)
*
LE MONDE, LA MERVEILLE, L’HORREUR. Horreur, merveille :
les deux faces inséparables de ce monde. Les séparer mène à deux philosophies
inconciliables et à la trahison du mystère paradoxal de ce qui est.
*
C’est le visible qui est invisible. Nous n’en voyons pas la
merveille.
*
Ce monde est totale absence de Dieu et sa présence
infiniment discrète.
*
L’éternelle merveille, l’éternel tragique. Les conditions
matérielles de la vie humaine évoluent, mais cela, LA BEAUTÉ, LA MORT, LE MYSTÈRE,
restera toujours le même. Tout ce qui ne conduit pas vers un approfondissement
du sentiment tragique et miraculeux de la vie est vanité.
*
Une fourmi, un arbre, un homme : incommensurables
prodiges !
Nous dormons debout. Nous ne nous rendons pas compte du
caractère infiniment merveilleux de ce qui existe.
*
L’infinité des mondes est sans doute sidérante. Cependant la
grandeur du Crucifié est infiniment plus profonde, plus bouleversante.
*
La vie est parfaite, parfaitement imparfaite, nuit et jour,
jamais Dieu (sauf chez les pleutres humains, au regard terriblement
simplificateur), toujours vie, insaisissable, contradictoire, équivoque,
légère, grave, mortelle, immortelle.
(Dieu échappe à tous nos dogmatismes d'invétérés théologiens
ou athéologiens. Dieu devenant Dieu cesserait de l'être).
*
Le monde serait purement infernal s'il n'y avait
la véritable charité et la beauté.
Le monde est à la fois merveilleux et terrible. Sachons
l'aimer à travers ses ténèbres et sa lumière.
*
ENTRE L'HORREUR ET LA BEAUTÉ. Nous habitons toujours au bord
de l'horreur et tout près de la beauté du monde
*
L'horreur absolue reste à jamais non dite puisque ceux que
l'abîme engloutit perdent du même coup la parole.
*
LUMIÈRE DE LA VIE. Ce qui éclaire ce monde
incompréhensible : la beauté, la charité.
*
TOUTE-MERVEILLE. Si Dieu est vrai, si Christ est vrai, la chose est plus
qu’extraordinaire: elle devrait brûler en nous, au milieu de nous.
*
Décalage énorme entre
les pratiques religieuses et la toute-merveille de la Révélation.
Nous sommes rampants,
mornes, névrosés, habituels, habitués, non habités, incapables de joie divine. Nous
filtrons la lumière absolue de la Révélation à travers le tamis de nos routines.
*
HOMO
CREATOR. Tant que tu veux
faire l’œuvre, l’œuvre ne se fait pas. Elle se fait lorsque tu la laisses se
faire à travers toi.
*
L'art ne reproduit pas le réel: il le crée, toujours à
nouveau, ne cessant d'en révéler l'inépuisable nouveauté.
*
Art, expérience du Dire infini, non expression du Moi.
*
La morale veut normaliser la vie; l'art l'ouvre infiniment.
*
L’œuvre demande une humilité extrême. N’être rien,
littéralement, pour laisser s’incarner le Dire.
*
L’œuvre : laisser surgir l’infini à travers le fini.
*
L'œuvre comme ascèse, alchimie, travail sans fin sur la
matière première que la vie nous livre. Extraire l'or du magma informe des
jours.
*
Jeux tangents, l'expérience spirituelle et l'expérience
créatrice.
L'œuvre vaut ce que vaut l'âme; le fruit, ce que vaut
l'arbre.
*
Penser, créer face à la mort, dans l’éclat dénudant de sa
terrible lumière.
*
LE COMMUN DE L'HOMME. C'est en pénétrant au plus profond de
lui-même, dans son intimité, que le créateur, loin de fuir les hommes, rejoint
ce qui leur est le plus commun.
*
L'art: une des voies de sortie
(avec le crime, la foi, l'érotisme…) de la cage asphyxiante de la normalité.
*
L'art rejoue tous les jeux humains quels qu'ils soient,
noirs, gris ou lumineux, et nous permet ainsi de nous délivrer de notre capture
dans le monde moïque clos sur lui-même.
*
L'art: jeu de tous les jeux de la vie et non jeu suprême,
espèce de hors-jeu hors vie
*
L'art affirme sans réserve la vie contre les forces de
dépression, de mort.
*
JEU DU JE. L'art permet le passage des jeux du fini, jeux du
Moi, au jeu infini, jeu
du Je.
*
Abandonner l'identification aux mondes des discursivités
ordinaires. Faire danser ces discursivités dans le Dire infini.
*
L'art doit frapper avec la violence d'un cataclysme ou la
discrétion d'un souffle printanier.
L'art doit jouer tous les discours, toutes les réalités dans
l'infini du Verbe. Et nous donner accès à cet Infini.
*
MÉTAPOÏETIQUE. Essai de sortir du cachot que constitue
chaque art en particulier.
Essai de dépasser l'approche simplement esthétique de l'art
en le reliant à nouveau à la transcendance, à une transcendance s’incarnant et
non à une Entité suprême.
Essai de penser l'expérience créatrice dans son ensemble,
comme ensemble insécable comprenant tous les arts, arts plastiques, musique,
littérature, poésie, danse, théâtre, cinéma, architecture...
Essai de penser l'acte créateur
comme phénomène global à travers toutes les pratiques culturelles, y compris
les pratiques non explicitement artistiques, science, philosophie et même les
pratiques utilitaires, techniques, gastronomie...
*
MISE EN ABÎME DU MONDE. L'art n'invente pas un autre monde, il
renverse le monde banal, la longue habitude humaine. Il rouvre le monde sur son
abîme, il le met en abîme.
*
L'œuvre totale veut enfermer le
monde dans son cercle. Elle est vouée immanquablement à l'échec parce qu'il
subsiste toujours un hors-jeu.
Il en est autrement de l'œuvre infinie qui, au lieu de
poursuivre le rêve fou de la totalisation, se propose fragment par fragment
d'allumer le brasier du Dire.
*
Le corps: pierre de touche de l'expérience créatrice. L'art
ne fuit pas le réel; il s'enracine dans son centre: le corps vivant, le feu du
désir.
*
La grandeur d'un artiste se mesure moins au degré de son
savoir-faire qu'à sa faculté à approcher la source du feu.
*
Quand on s'occupe de faire de l'art, il s'agit ni de flatter
ni de décourager le public. Il s'agit tout simplement d'aller au bout de l'art
et le reste viendra par surcroît ou ne viendra pas.
L'art est un des chemins de l'absolu.
L'artiste travaille face à Dieu et non pour ou contre ses
frères humains.
Il travaille en Dieu
à la place de tous les humains que ceux-ci le suivent ou ne le suivent pas
n'est pas son problème essentiel.
*
L'art n'enseigne pas, il rayonne la vérité de la
non-position.
*
HOMO CREATOR. Il assiste,
exaltant, exalté, à sa propre naissance.
Est-ce moi? Suis-je moi? Qui parle? Qui en moi façonne ces merveilles? Le
créateur est création, autant créé que créant. Il est le lieu où la liberté de
la vie s'accomplit. Expérience unique, malaisée à saisir, singulièrement
réfractaire à l'effort de formulation conceptuelle. Là gît la raison de la répugnance
des créateurs à parler d'eux-mêmes sur le mode discursif, à s'expliquer en
tournures ordinaires, en « paroles païennes » comme disait
Rimbaud, devant l'aréopage du public. La nature de la création ne peut se
comprendre que par la voie de l'intuition. Pour la concevoir, il faut à
l'esprit coïncider avec l'évidence même et c'est là opération entre toutes
difficile pour l'homme, qui est toujours
le moins proche de sa propre évidence. La création, et en cela elle se
différencie de toute autre expérience, ne peut s'appréhender comme objet. Elle
est jaillissement pur du sujet, et le sujet pour se reconnaître créateur doit
se vivre comme absolue spontanéité, jeu profond.
Créer, en fin de compte, n'est rien autre qu'exister, que
s'écouter exister, que se confondre intuitivement avec la plus forte aspiration
à l'existence. Créer, c'est détacher pour quelque temps son attention des
objets particuliers, bornés et précaires, pour l'ouvrir au Verbe plénier par l'intermédiaire des mots, des images, des
sons, des formes, des couleurs, des rythmes, tous les divers langages de l'art
à tout instant renouvelés, réaimantés par cette inassouvissable faim de l'être.
Créer, c'est inlassablement recréer le monde, raviver le feu, réinventer
l'amour. C'est faire que chaque matin soit neuf comme le premier matin.
Formulons cette proposition centrale : créer constitue l'essence même de l'humain, l'expérience
fondamentalement humaine, dont nous sépare la poussière de nos activités serviles.
Homme, je suis né pour créer, je suis né pour indéfiniment naître et renaître
par l'acte créateur. L'humanité d'un être réside en sa faculté de créer, de faire pour se faire, pour faire le monde, et non pas
pour parvenir à tel ou tel but particulier, devenir savant, riche, puissant,
considéré. Dans l'expérience créatrice, le moi, le nous, et leurs fins
égoïstes, et leurs limites, s'abolissent pour faire place à l'Existant pur. Créant,
je ne fuis pas la condition humaine, je m'en approche, je l'exerce le plus
pleinement.
*
« Schaffen ». Les deux sens du mot allemand.
Créer, c'est aussi, c'est d'abord travailler, franchir l'abîme entre rêverie et
oeuvre, entre passivité et activité.
*
Une œuvre est grande dans la mesure où sa contemplation, sa
lecture sont inépuisables.
*
Qui s'efforce vers la beauté, la fuit.
*
ENTRE L'HORREUR ET LA BEAUTÉ. La beauté de la vie, le tragique
de la vie, jamais nous ne les dirons assez.
*
LA SOURCE, LE SILENCE. Toute
œuvre d'art doit naître du silence originel, qu'elle soit œuvre de sons,
de mots, de signes visuels ou gestuels...Elle est forcément reliée
primordialement, non d’abord aux réalités de ce monde, mais au matriciel.
*
LA VOIX. Il y a ceux qui vivent la vie, bon gré mal gré,
avec dans la tête de petites illusions.
Il y a ceux qui parlent, ceux qui pensent, intellectuels,
prêtres, professeurs, ministres…, gens guère abouchés à la chair souffrante,
gens qui expliquent tout, qui enferment le monde dans leurs discours clairs et
nets, gens qui savent parler mais qui ne parlent jamais de ce dont il faut
parler, la vie monstrueuse des hommes, qui emprisonnent cette vie grandiose,
horrible, cet abîme, dans leur petit monde d'idées, qui dispensent cet opium anesthésiant
aux souffrants, aux travailleurs de la terre.
Et puis il y a parfois une Voix. Elle sait la parole et elle
sait la souffrance. Elle ne parle pas comme les Assis derrière leurs bureaux.
Elle parle de la vie. Elle jette le cri que les damnés ne peuvent jeter faute
de langage et que les confortables ne peuvent formuler faute de con-naissance. La
Voix crie la vérité de la vie et de la mort, la vérité de l'abîme, des astres,
des océans, du sexe.
C'est Shakespeare, c'est Céline, c'est Goya, c'est Van Gogh,
c'est Rimbaud, c'est Hugo, c'est Artaud, c'est Beethoven, c'est Nietzsche,
c'est Kafka, c'est Simone Weil, Dostoïevsky, Beckett, Lautréamont...
La Voix parle pour les
souffrants, contre les installés. Et les tièdes, les assis, les confortables,
les pharisiens, les bourgeois, ceux qui ne souffrent pas quotidiennement dans
leur chair, dans leur esprit, ceux qui ont leur paradis de confort, ils
s'effraient d'abord un peu, ils s'inquiètent un peu, qui est ce monstre? Ce
n'est rien, ce n'est rien. Ils apprivoisent la Voix: grand artiste, grand
écrivain, héros, à ranger dans le Panthéon. La Voix devient objet d'étude, de
culture, elle est disséquée, tuée, embaumée. C'est fini. On est soulagé, on respire
dans les académies, les universités, les séminaires, les sacristies. Il n'y a
pas de monstres, pas de paroles monstrueuses qui disent la vie stupéfiante.
Rien que la petite affreuse mesquine comédie des cultivés. Et l'incendie se
rallume autre part, toujours. Toujours la Voix revient, fulminant contre les
imposteurs de la parole, contre ceux qui parlent pour ne rien dire, flatus
vocis.
*
BRÛLER SANS RAISON. Brûler toutes les questions dans le feu
du Dire.
But de l'art: entrer dans le Jeu Ardent du Dire, en
embrasant tout dit, tout fragment signifiant.
*
Au lieu de simplement, bêtement consommer… se laisser
consumer, entrer dans le brasier de la
vie créatrice.
*
L'art: tentative, toujours à recommencer, de retrouver la
magie de l'enfance.
*
L'art, l'écriture: plongée dans le chaos, dans le feu. Non
pour dire: c'est ceci, cela; mais pour dire. Toute métaphysique est jugement,
savoir du bien et du mal. L'art ne juge pas. L'art dit.
*
L 'ART, LA FOLIE. Par l'art, manifester l’immense folie
latente de l'âme humaine; rendre visible ce que l'homme est au fond : gouffre
de déraison, ténèbre et lumière.
*
L’art ne fuit pas la condition humaine : il en manifeste la
beauté et le tragique.
*
L' ART ET LE MAL. On ne peut
écrire sans avoir traversé le mal. Avant cette traversée, on écrit dans
l'illusion.
*
BEAUTÉ. Tout est beau. Parvenir à
sauver les choses du regard utilitaire, à leur rendre leur vie propre.
Rôle du poète, de l’artiste: nous faire voir.
*
PLONGER DANS L'INCONNU. Pour passer du dit au dire, il faut
se risquer. Saut dans l'inouï.
Les dits, les discours: ce que nous savons d'avance.
*
Poésie: expérience extrême du
langage. Le langage ne pourchasse plus la vérité, il est le lieu où l'esprit se
débat dans l'espace de ténèbre, éprouvant l'impossibilité de dire.
*
Poésie. De temps à autre se rencontre l'heureuse conjonction
de mots, de phrases qui murmurent aux oreilles humaines assourdies de discours
le chant profond de notre présence aux choses de ce monde, visages, fleurs,
astres, oiseaux, étoiles...
*
POÉSIE. De véhicule des certitudes familières, le langage
devient milieu sacré, tremblant, incendiant, toujours en déséquilibre,
irradiant, sans lieu, sans repos. Espace
sans affirmation ni négation, poïétique.
*
Poésie est jeu, mais haut jeu, jeu le plus fou, jeu mettant
en jeu tous les autres jeux.
*
L’écriture-chant déborde le bêlement poétique, fait jouer
tous les registres d'écriture, l'élégiaque et le souffle épique, le trivial et
le noble, la poésie et son contraire.
Le chant dans son mouvement éclaté traverse, emporte tout.
*
L'art, la poésie: le jeu de l'enfant retrouvé avec des
moyens adultes.
C'est le vrai jeu, le jeu des jeux à côté duquel la farce
sociale apparaît comme un gouffre
d'inanité, une puérilité sans nom.
*
La poésie est tout à fait étrangère aux déroulements
logiques. Elle n'est que succession d'images s'enchevêtrant selon des lois
inouïes. Pour l'aborder, il faut se défaire du besoin de signification
ordinaire.
*
La Poésie est l'incarnation multiforme du Souffle dans les
langues humaines.
*
« LE POÈTE EST LA PARTIE DE L'HOMME RÉFRACTAIRE AU PROJET
CALCULÉ » (RENÉ CHAR).
*
Poésie : parole première, dire-vie, dire-monde.
*
La poésie rappelle toujours de quelque façon le chant
premier, celui des Livres sacrés de l'humanité.
*
Poésie : expérience du non-saisir, du laisser-venir, du
laisser-advenir.
Poésie, voie de l'insaisissable. Si elle cherche à saisir,
elle échoue.
*
Naître parole à
travers le silence sans mesure, stellaire.
*
Wörter wie
Steine, wie Blitze, nackte Wörter die aus der Nacht, aus der Stille tauchen.
Paroles comme pierres, comme éclairs, paroles nues qui
émergent de la nuit, du silence.
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La poésie, la musique soulignent le silence; elles ne le
comblent pas.
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Dire toujours neuf, chant éternellement inouï.
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Poésie: traduction de la vie en langue inouïe.
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Poésie : exercice incessant de recréation du monde, exercice
de jeunesse, de nouveauté, toujours recommencé.
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Tentative d’exprimer la nostalgie inexprimable de l’âme
humaine.
Tentative folle de dire l'indicible.
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"POÉSIE. IMAGES ET MOTS QUI REFLÈTENT L'ÉTAT SANS
IMAGES ET SANS MOTS. MUSIQUE. SONS QUI REFLÈTENT L'ÉTAT SANS SONS. MOTS ET SONS
ÉQUIVALENTS AU SILENCE." (SIMONE WEIL)
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La poésie est un acte de foi, un cri dans le vide abyssal du
monde.
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Désir le plus profond
: vivre l’absolue poésie, l’écriture-lumière, l’écriture-feu,
l’écriture-ténèbres.
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N'être plus que poésie, jeu entier de ténèbres et de
lumière, à travers toutes les sensations, tous les sentiments, toutes les
formes, toutes les tonalités, tous les langages.
N'être plus qu’entier Dire-Vie.
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Chant pluriel de la vie mettant en œuvre tout le registre
verbal.
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Chant profond de la vie, CANTE JONDO, diafes Liad vum Lawa,
tiefes Lied vom Leben.
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Dire l'existence à la fois humble et grandiose. Balbutier,
murmurer, chanter, crier le mystère de l'existence, l'ardente inconnaissance.
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La poésie dans ses moments de grâce traverse le mur du sens.
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LUMIÈRE D’ORPHÉE
Voici, je me lève et je déclare aux assis, aux assoupis, aux endormis, aux ectoplasmes, oui je déclare clairement, distinctement, à pleine gorge
que je suis poète.
Les mots brûlent dans mes entrailles, les mots saignent en moi, les mots m'enivrent comme de l'alcool.
Voici, je me lève et
je déclare aux créatures du bon Dieu, je suis Orphée, le poète, l’Étranger fabuleux,
la voix des êtres muets. Voici, je vais
incanter, transfigurer toutes les créatures terrestres.
Et je déclare aux
pierres, aux âpres rocs, je pénétrerai de mon dire chaleureux votre terrible,
froide opacité. Pierres précieuses, diamants, améthystes, opales, je
dilapiderai votre luxe royal.
Et je déclare aux
arbres, j’imbiberai de ma fluide énergie votre compacité, vos troncs rugueux
mangés de lierre, vos racines plongeant dans les entrailles terreuses, vos
floraisons enchanteresses, vos opulentes profusions de fruits.
Et je déclare aux
fleurs, jonquilles, coquelicots, glaïeuls, et vous lys candides, je vais
glorifier votre humble merveille, je vais chanter votre féérie multicolore à
travers jardins, prairies et bois.
Et plein d’humilité et
d’admiration, je déclare aux bêtes, je suis Orphée votre chantre.
Fauves, requins, je
célébrerai votre force indomptable, votre splendide cruauté ; gazelles et
biches, je louerai vos élans gracieux; reptiles, aigles et vautours, je
magnifierai votre sauvage beauté.
Oiseaux de nos bois,
de nos champs, je vais rivaliser avec votre mélodieuse légèreté, vos danses
aériennes, vos ivres ascensions dans la lumière d’été.
Alouettes, alouettes, voltigez jusqu’à l’extase dans l’immensité bleue
au-dessus des houles de blé et semez vos perles sonores comme des gouttes de
lumière en trilles et roulades à travers l’azur libre.
Et voici, je me dresse
la nuit comme un veilleur au milieu de la plaine, et je déclare aux myriades
d’étoiles scintillantes, je vais illimiter la Voie lactée en galaxies de
rêve jusqu’aux confins de l’univers, je vais déployer le grandiose poème de la
naissance et de l’explosion des soleils, l’ode de l’imperceptible expansion des
milliards de mondes, sidérantes cosmogonies.
Je suis l’officiant
des liturgies de la clarté du Jour et de la ténèbre mystérieuse de la Nuit d’où
émergent toutes les créatures. Je médite la Genèse infinie, je contemple les
arc-en-ciel, lien somptueux entre les habitats de glaise terrestre et les
hauteurs du firmament, je rêve les aurores éternellement surgissantes.
Et voici, je sors de
ma tour d’ivoire et je marche dans les cités humaines, je traverse les rues et
les places, et je m’égare dans les zones
de perdition jusqu’à la folie, j’erre
dans les déserts de soif à la recherche du Visage angélique perdu, en quête
sans fin de beauté, d’amour, de joie nuptiale ; je viens de loin, de
l’enfer même, des contrées de fange, d’angoisse et de deuil, et voici, j’avance
dans la lumière, rayonnante tête d’or couronnée de lauriers, brandissant ma
lyre électrique, et je déclare avec véhémence aux pitoyables humains aux
semelles de plomb, dévorés de soucis, de sombres passions, dévoreurs de fades
nourritures, sourds à la poésie, sourds et muets, fermés au cantique profond
des créatures, je leur déclare sans tergiverser, je vais ouvrir de force vos
oreilles, je vais sensibiliser vos cœurs et vos tripes au Verbe vertigineux, au
chant du visible et de l'invisible, du tragique et de la joie, de la vie et de
la mort.
Je vais hanter vos
jours et vos nuits de mes versets incandescents, de mes cantilènes
nostalgiques, de mes psalmodies lancinantes. Mes ïambes, mes anapestes seront
récités par les aèdes, scandés par les voix cristallines des enfants, les
haut-parleurs hurleront mes stances portées au loin par les ondes, par les vents
allègres, mon tendre langage sera susurré par les brises duveteuses, les
sources aux fraîcheurs de menthe, les ruisseaux vagabondant à travers prés et
prairies en fleurs.
Frères humains, sœurs humaines, je suis le messager inspiré,
le témoin du cœur du monde, le voyant,
l’initié aux mystères, le magicien mariant verbe et musique.
Je suis David le
harpiste, Li Po le Chinois, Basho le Japonais, Pindare, Virgile, François
d’Assise entonnant LE CANTIQUE DES CRÉATURES, Hafez le Perse, Dante, Hölderlin,
Hugo, Rimbaud, Whitman, Trakl, Tagore, Neruda, Césaire.
Je suis Orphée le
Logos vivant, Orphée-Phoenix toujours ressuscitant, les mille et une voix de la Création,
ce chaos inimaginable,
cette immense Bouche d’ombre qui ne parle pas, ce mystère infini, cette infinie
magnificence, expansés follement dans des abîmes de silence.
Je suis la voix
d’Orphée illuminant le monde abyssalement mutique, la voix innombrable venant
du tréfonds aimant et qui se répercute d’écho en écho jusqu’aux dernières
limites de la Création.
Je suis Orphée-Christ, la lumière du
Verbe de Vie plus profonde que toute vie.
*
Écrire, c’est écouter : écouter ce qui naît du silence.
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Écrire, c’est interroger, creuser sans fin le silence.
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Écrire et attendre dans le
silence, durant des éternités s'il faut, que quelqu'un vienne se pencher sur
les feuillets et lise vraiment, lise ce qui se trouve entre les lignes,
derrière la surface des mots.
*
L’écriture est infini « hard
labour ». Écrire et sans cesse réécrire. Impossible approche de
l’insaisissable.
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Écrire contre la mort, tout contre. Pour témoigner de la vie
jusqu'au bord du gouffre.
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ÉCRIRE À HAUTEUR DE MORT. Écrire dans la lumière de notre
mort, dans l'éclat de notre disparition, au cœur de la nuit du monde.
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Écrire ici parmi les vivants,
mais comme d'au-delà de la mort. Ici parmi les vivants, écrire en aimant leur
précarité, en aimant la précaire beauté de toute chose terrestre dans la lumière de la mort, dans la
lumière de l'éternité.
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On écrit vraiment quand on écrit face à la mort, face à
l'éternité, dépouillé des petites ambitions humaines.
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Toujours tenter de dire à nouveau l'inouï avec la vieillerie
usée des langues humaines.
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Ouvrir la langue à l'infini, l'éclater, la déchirer afin
qu'y tournoient les galaxies et qu'y vibre l'envol des anges.
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ÉCRIRE. Risquer
sa vie, jouer son âme à chaque mot.
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Celui qui écrit, s'il ne pense pas écrire l'essentiel, en
vérité n'écrit pas.
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Toute écriture est une tentative désespérée de dire
l'essentiel.
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Pour écrire, que rien d'humain et d'inhumain ne te soit
étranger, des pires perversions aux plus sublimes états de sainteté. Ose tout
regarder en face. Ne cesse de passer de l'enfer au ciel et inversement.
N'oublie pas non plus de séjourner sur terre parmi tes frères humains
humblement joyeux et souffrants.
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Écrire à même la vie. Voir l'inouï dans le plus ordinaire.
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Écrire: devoir envers la vie, car la vie veut être dite.
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APHORISMES. Éclairs dans la ténèbre, non prolégomènes à une
future doctrine ambitionnant de penser globalement le monde.
Chaque aphorisme est une invitation à penser sans l’étayage
d’un système global imposé de l’extérieur.
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Les aphorismes sont d’humbles étoiles émettant leur clarté
clignotante dans l’infini mystérieux du ciel nocturne.
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L'aphorisme cherche à allier la brièveté de l'éclair et l'immensité du ciel.
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« SI NOUS HABITONS UN ÉCLAIR, IL EST LE CŒUR DE L’ÉTERNEL. »
(RENÉ CHAR)
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Un bon aphorisme est germe de pensée plus que pensée close
sur elle-même.
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Écrire pour crier la folle condition de l’homme. Folie dont
nous ne sommes conscients que très fugitivement.
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Écrire en tentant d’atteindre la densité incandescente du
silence.
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Écrire pour donner à manger, pour nourrir le feu.
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Écrire comme acte de foi, non seulement comme œuvrer.
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Écrire pour manifester l’évidence non-évidente du Verbe
vivant contre le Monde qui ne veut que le règne sur le Monde c’est-à-dire la
Mort.
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ÉCRIRE. L'écrivain est celui qui, par les mots, essaie
d'aller plus loin que les mots et de rejoindre la densité de la vie au-delà de
l'ordinaire bavardage.
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L’écriture aide au cheminement; elle ne délivre pas une
doctrine.
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Celui qui écrit lance des feuillets aux vents du hasard et attend. Parfois lui
revient la parole de quelqu'un qui a ramassé un feuillet et accuse réception.
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LECTURE PROFONDE. Lire vraiment, c’est se nourrir de
l’écrit, en faire l’aliment de sa méditation ininterrompue.
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Lire pour manger le livre et l’incorporer à son être.
Le bon lecteur est selon Nietzsche un ruminant. Il laisse
longtemps agir en lui les fulgurances verbales.
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Un vrai lecteur est
co-créateur de l’œuvre.
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LIRE. Lire n'est pas consommer. Lire c’est entrer dans le
feu, laisser le livre écrire en soi. Les liseurs d'aujourd'hui: des animaux
cultivés qui subodorent les œuvres pour être au courant, au lieu de laisser le
courant les traverser. On n'a accès à l'écriture créatrice qu'une fois
abandonnés tous les préjugés (obsession de la signification, de l'utilité,
moralisme...) qui ferment l'esprit au grand jeu. Il faut s'avancer nu et se
laisser prendre.
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THÉÂTRE. Le théâtre est le lieu privilégié où peut
s'expérimenter la poésie totale.
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Ce qui est demandé à l'acteur, c'est de mourir à son Moi et
de s'ouvrir en son cœur intime à l'infini.
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Jouer avec toute la voix, toutes les voix, et tout le corps,
tous les corps.
Explorer tout le registre vocal et toutes les possibilités
gestuelles.
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Inventer une polyphonie
inouïe à la fois vocale, gestuelle, sonore, visuelle.
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THÉÂTRE COMME POÉSIE TOTALE. Rompre avec la primauté du
discours verbal, déplacer l'accent de la logique discursive à l'incandescence
du dire. Le théâtre devient une expérience de poésie totale.
Tout en n'étant plus centrale, la poésie du verbe reste une
dimension importante élargie d'ailleurs en exploration des possibilités
vocales, de la magie incantatoire jusqu'au cri.
La poésie gestuelle prend une place essentielle; le jeu
théâtral se joue avec le corps entier, pulsionnel, s'aventurant au-delà du
corps socialisé, soumis aux conventions.
La poésie spatiale, visuelle, sonore, loin d'être seulement
décorative, acquiert une fonction expressive au même titre que celle de la voix
et celle du corps.
Le théâtre devient le lieu vivant du jeu poïétique entier,
polyphonique, grand jeu entre les arts, verbe, gestualité, arts plastiques,
musique...
Le lieu où l'art et la vie peuvent se rencontrer réellement,
investir des êtres de chair. Et ces êtres de chair, de chair devenue verbe, les
humains, qu'ils soient acteurs ou spectateurs, approchent du feu qui parfois
transfigure leur misère.
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ÉTHIQUE DE JEU. Jouer la vie, à l'infini. Mais personne ne sait vraiment
jouer ce jeu. Nous sommes tous trop adultes. Nous avons peur du jeu. Et cette
peur, nous l'habillons de notre dignité,
de nos mines sérieuses, de notre technique, de notre savoir.
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